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compromettre leur succès par des exagérations que le moindre incident pouvait punir avec quelque rudesse. Les victoires de l’amiral Courbet n’ont encore rien terminé ; et le Tsong-li-Yamen n’est point jusqu’ici porté à se soumettre et prend au contraire d’importantes dispositions pour organiser la résistance contre les entreprises dont l’affaire de Fou-Tcheou n’est probablement que le prélude. Le bruit a couru un moment que la cour de Pékin demandait à négocier ; mais il a été aussitôt démenti ; il faut donc que les exploits dont le patriotisme français peut se montrer à bon droit si fier se renouvellent. Mais l’amiral Courbet, quel que soit son esprit de décision, ne peut cependant envoyer chaque jour un bulletin de victoire ; les nouvelles de l’expédition qu’il a entreprise au sortir de la rivière de Min se feront sans doute un peu attendre.

C’est donc dans la situation de place, résultant de la réponse des primes qui vient de s’effectuer, que la spéculation à la hausse, qui dirige le marché à son gré, doit chercher ses données. Le taux auquel les vendeurs offrent de reporter (deux ou trois centimes ou le pair) indique assez que le titre, malgré l’amélioration des prix, est toujours rare. Le comptant a pris beaucoup d’inscriptions, mais les effets de cette absorption ne se font sentir que très lentement, tandis que la mise en report d’immenses quantités de rentes sur le marché de Londres a provoqué une raréfaction théoriquement artificielle et factice, puisque ces rentes devront un jour ou l’autre revenir sur notre place, mais qui pratiquement n’en est pas moins désastreuse pour le vendeur. On verra par les prix auxquels se négocieront lundi les opérations de report, dans quelle mesure le découvert devra courir après la marchandise qu’il a imprudemment promis de livrer.

Cette raréfaction de titres est-elle destinée à se prolonger ? Depuis quelque temps, le bruit tend à s’accréditer qu’elle pourrait bien avoir pour terme rémission d’un grand emprunt national. Le gouvernement est fort à court de ressources, ce n’est un secret pour personne. Les bons du trésor ne se placent pas très facilement. Les dépenses extraordinaires ne cessent de grossir, par suite de l’extension que prennent nos opérations militaires ; si l’on ajoute à la moins-value du rendement des impôts le montant probable des crédits extraordinaires et des frais se rattachant aux expéditions du Tonkin et de Madagascar, on obtient un total de près de 200 millions de déficit pour l’année 1884, et ce déficit devra être couvert par un appel au crédit. La question serait posée dès maintenant dans les conseils du gouvernement, et de plus on ne serait pas éloigné de considérer que, si la nécessité d’emprunter s’impose, autant vaudrait aborder tout de suite une opération d’ensemble comportant l’émission de 1 milliard de rentes peut-être, et la liquidation de toutes nos dépenses extraordinaires.