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avait pas un seul arbre devant cette porte ; cela vous fait rire, il n’y a rien de si vrai ; votre frère les fit tous couper (les arbres), je dis tous, il y a deux ans ; il se pique de belle vue tout comme vous l’avez songé. »

Parmi les événemens peu agréables de la vie de Mme de Grignan, il fallait compter au premier rang les créanciers. Une marchande arrivait exprès de Paris à Grignan pour réclamer son argent. Il a dû se passer là une scène digne de Molière, et qui eût pu servir de pendant à celle de M. Dimanche. Mme de Sévigné nous la reproduit d’après la lettre de sa fille : « Disons un mot de Mme Reynié, Quelle furie ! Ne crûtes-vous point qu’elle était morte, et que son esprit et toutes ses paroles vous revenaient persécuter comme quand elle était en vie ? Pour moi, j’aurais eu une frayeur extrême, et j’aurais fait le signe de la croix ; mais je crains qu’il ne faille autre chose pour la chasser. Comment fait-on cent cinquante lieues pour demander de l’argent à quelqu’un qui meurt d’envie d’en donner et qui en envoie quand elle peut ?… Vous faites bien cependant de ne pas la maltraiter, vous êtes toute raisonnable ! mais comment vous serez-vous tirée de ses pattes, et des inondations de paroles, où on se trouve noyée, abîmée ? » Dans une des lettres suivantes, Mme de Grignan continuait et contait l’histoire de Mme Reynié de la manière la plus plaisante. Il fallait bien rire des créanciers puisqu’on ne pouvait échapper à leurs griffes : « La plaisante chose de quitter ainsi Paris, son mari, toutes ses affections, pour s’en aller trois ou quatre mois courir tout partout dans la Provence, demander de l’argent, n’en point recevoir, se fatiguer, s’en retourner, faire de la dépense et de plus gagner un rhumatisme ! Car figurez-vous qu’elle a des douleurs tout partout ; et tellement qu’à la fin vous en êtes défaite. »

Revenons aux lectures de Mme de Grignan, dont il n’a pas été depuis longtemps question entre les deux dames. Une petite controverse s’engage entre elles à propos des Provinciales. Mme de Grignan n’avait pas pour ce livre la même admiration que sa mère et son frère. Elle disait que « c’était toujours la même chose. » Sa mère relève ce jugement dédaigneux : « Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu’en courant, grappillant les endroits plaisans ; mais ce n’est peint cela quand on les lit à loisir. » La vérité est que Mme de Grignan, malgré son esprit fort et pénétrant, n’aimait pas la lecture : elle parcourait, elle commentait, elle grappillait, elle ne finissait point : « Que je vous plains de n’aimer point à lire ! Car je vous avertis, ma chère, que vous n’aimez point à lire, et que votre fils tient cela de vous. » Mme de Grignan fut un peu piquée que sa mère lui eût reproché de n’avoir pas lu les Provinciales et, par