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Je l’ai fait connaître de manière à ne laisser aucun doute[1]. » Pour le fluide igné, « cet être inconnu avant moi, je dégage la théorie de toute hypothèse, de toute conjecture, de tout raisonnement alambiqué, je la purge d’erreurs, je la rends intuitive, je la dépose dans un petit volume qui condamne à l’oubli tout ce que les sociétés savantes ont jamais publié sur cette matière[2]. » Avant son Traité de l’Homme, le rapport du physique et du moral était incompréhensible. « Descartes, Helvétius, Haller, Lecat, Hume, Voltaire, Bonnet, en faisaient un secret impénétrable, une énigme. » Il a déchiffré l’énigme, fixé le siège de l’âme, démontré l’intermédiaire par lequel communiquent l’âme et le corps[3]. Dans les sciences supérieures, qui traitent de la nature en général ou de la société humaine, il est allé au bout. « Je crois avoir épuisé à peu près toutes les combinaisons de l’esprit humain sur la morale, la philosophie et la politique[4]. » — Non-seulement il a trouvé la théorie vraie de l’état, mais il est homme d’état, praticien expert, capable de prévoir l’avenir et de le faire. En moyenne, il prédit, et toujours juste, deux fois par semaine : aux premiers jours de la Convention[5], il compte à son acquis déjà « trois cents prédictions sur les principaux événemens de la révolution, justifiées par le fait. » En face des Constituans, qui démolissent et reconstruisent si lentement, il se fait fort de tout défaire, refaire et parfaire à la minute. « Si j’étais tribun du peuple et soutenu par quelques milliers d’hommes déterminés[6], je réponds que, sous six semaines, la constitution serait parfaite, que la machine politique marcherait au mieux, que la nation serait libre et heureuse, qu’en moins d’une année elle serait florissante et redoutable, et qu’elle le serait tant

  1. Recherches physiques sur l’Électricité, 1782, p. 13, 17.
  2. Chevremont, I, 59.
  3. De l’Homme, préface, VII, et IVe livre.
  4. Journal de la république française, no 98.
  5. Ibid., par Marat, no 1.
  6. L’Ami du Peuple, no 173, 20 juillet 1790. — Dans la vaniteuse créature qui se dilate et s’enfle hors de toute mesure, la mémoire elle-même est faussée. J’ai vu, dans les asiles, des malades atteints de la folie des grandeurs qui racontaient leurs succès imaginaires à peu près du même ton que Marat. — (Chevremont, 1, 40, 47, 54.) « Le bruit des cures éclatantes que j’avais faites m’attira une foule prodigieuse de malades ; ma porte était continuellement assiégée par les voitures des personnes qui venaient me consulter de toutes parts… Enfin, le précis de mes expériences sur le feu vit le jour : la sensation qu’il fit en Europe fut prodigieuse ; tous les papiers publics en firent mention ; pendant six mois, j’eus chez moi la cour et la ville… L’Académie, ayant reconnu qu’elle ne pouvait pas étouffer mes découvertes, chercha à les faire naître dans son sein. » — Trois académiciens vinrent tour à tour, dans la même journée, lui demander s’il ne voulait pas se présenter comme candidat. « Jusqu’à présent, j’ai été recherché par plusieurs têtes couronnées, et toujours sur la réputation de mes ouvrages. »