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Mais le pli est pris : désormais les contre-vérités poussent dans son cerveau comme sur le sol natal ; il s’est installé dans la déraison, et cultive l’absurdité, même physique et mathématique. « A caver au plus bas[1], dit-il, la contribution patriotique du quart du revenu doit produire 4,860 millions, et peut-être produirait-elle le double ; » avec cette somme, Necker pourra lever cinq cent mille « hommes, et Necker compte là-dessus pour asservir la France. — Depuis la prise de la Bastille, « les dilapidations de la seule municipalité montent à plus de 200 millions ; on évalue à plus de 2 millions ce que Bailly a mis dans sa poche ; ce que Mottié (La Fayette) a mis dans la sienne depuis deux ans est incalculable[2]. » — Au 15 novembre 1791, le rassemblement des émigrés comprend « au moins cent vingt mille ex-gentilshommes et partisans, et soldats disciplinés, sans compter les forces des princes allemands qui doivent se joindre à eux[3]. » — Par suite, ainsi que ses confrères de Bicêtre, il extravague incessamment dans l’horrible et dans l’immonde : le défilé des fantômes atroces ou dégoûtans a commencé[4]. Selon lui, tous les savans qui n’ont pas voulu l’admirer sont des imbéciles, des charlatans et des plagiaires. Laplace et Monge, simples « automates, » ne sont que des machines à calculs ; Lavoisier, « père putatif de toutes les découvertes qui font du bruit, n’a pas une idée en propre, » pille les autres sans les comprendre, « et change de système comme de souliers. » Fourcroy, son disciple et son trompette, est encore de plus mince étoffe. Tous sont des drôles : « Je pourrais citer cent traits d’infidélité de messieurs les académiciens de Paris, cent abus de dépôts : » une somme de 12,000 francs leur ayant été confiée pour chercher le moyen de diriger les ballons, « ils s’en sont fait entre eux le partage, et il a été mangé à la Râpée, à l’Opéra et chez les filles[5]. » — En politique, où les débats sont des combats, c’est pis : l’ami du peuple ne peut avoir que des scélérats pour adversaires. Louer le courage et le désintéressement de Lafayette, quelle ineptie ! S’il est allé en Amérique, c’est par dépit amoureux, « rebuté par une Messaline ; »

  1. Chevremont, I, 1361. (Pamphlet de Marat contre Necker, juillet 1790.)
  2. L’Ami du Peuple, n° 552 (30 août 1791).
  3. Ibid., n° 626 (15 déc. 1791). — Sur le chiffre des émigrés en armes, cf. la Révolution, n° 129. À cette date, le chiffre public et vérifié est de 4,000.
  4. Impossible de citer ses imputations ordurières. — Voyez, dans Buchez et Roux, IX, 419 (26 avril 1791), et X, 220 (n° des 17, 19 et 21 Juin), son factum contre Lafayette, sa liste, avec qualifications infâmes, des « scélérats et des coquins » qui briguent pour se faire nommer électeurs, et ses lettres sur les académiciens.
  5. Buchez et Roux, X, 407 (septembre 1791). — Cf. ibid., 473. Selon Marat, il était inutile de mesurer un degré du méridien ; cette mesure avait déjà été donnée par les Égyptiens. Les académiciens « se sont fait accorder par le ministre mille écus pour les frais de l’opération, petit gâteau qu’ils se partagent en frères. »