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Il commença par les Mongols, qui se souvenaient trop d’avoir autrefois donné des conquérans et des souverains à la Chine et qui se croyaient en droit d’y faire des incursions périodiques. Ce fut ensuite le tour des populations musulmanes établies à la limite du Grand-Désert et dans le Turkestan oriental. Dans les villes qui leur résistèrent et qu’il fallut prendre d’assaut, comme Kashgar, Yarkand ou Khotan, les généraux tartares n’épargnèrent que les vieillards, les femmes et les enfans ; tous les mâles au-dessus de l’âge de quatorze ans furent passés au fil de l’épée ; quant à la population des campagnes, on l’expropria en masse, on la transporta comme un troupeau sur les bords de l’Ili, dans la province de Kouldja, et on la remplaça par des colons amenés de l’intérieur de la Chine. Enfin, dans les gorges de la haute et longue chaîne de montagnes qui se détache du massif du Thibet et qui sépare l’Yunnan, le Kouy-Tchéou et le Kouan-Si du royaume de Siam, de l’Annam et du Tonkin, donnant naissance d’un côté aux grands fleuves de la Chine, et de l’autre à l’Irawaddy, au Mékong et au Fleuve-Rouge, vivaient trois populations d’origine différente : c’étaient, sur les confins du Thibet et dans l’Yunnan, des mahométans, dont l’établissement dans ces régions remontait aux jours de grandeur de l’empire musulman de Delhi ; c’étaient, au sud du Kouy-Tchéou, les Tchin-Kong-tsé, descendans de populations chinoises que les empereurs mongols avaient transportées des provinces du Nord dans celles du Sud et qui avaient été graduellement refoulées jusque dans les montagnes ; c’étaient enfin, entre le Kouan-Si et le Tonkin, les Miao-tse, derniers débris des populations aborigènes, dans la croyance desquels on croyait trouver quelques traces très vagues de christianisme. Toutes ces populations furent domptées et, comme tous les états situés au-delà des montagnes ou dont les frontières touchaient par quelque point à celles de la Chine, se reconnaissaient ses tributaires ou ses vassaux, le maître incontesté de cet immense empire put se considérer comme placé au-dessus de tous les souverains et comme sans égal au monde.

Ce long règne de soixante et un ans, de 1735 à 1796, marque l’apogée de la domination mandchoue. Kiang-Long, dont la renommée arriva jusqu’en Europe et à qui Voltaire a adressé une de ses épîtres, se piquait d’encourager les lettres et les arts ; il était poète lui-même, il a chanté le thé et laissé un certain nombre d’ouvrages. Travailleur infatigable, il donnait audience à ses ministres aux heures les plus matinales, et les plus modestes de ses sujets pouvaient avoir accès auprès de lui. Ni l’âge ni les infirmités ne le déterminèrent à rien retrancher de son exactitude dans l’accomplissement de ses devoirs de souverain. L’éclat et la magnificence