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familles, sans épargner ni les femmes ni les enfans. Peï-Wang voulut ensuite faire subir le même sort aux chefs qui lui portaient ombrage, E-Wang n’échappa à la mort que par la fuite ; mais Peï-Wang tomba à son tour sous les coups d’un assassin. Des chefs qui s’étaient associés les premiers à la fortune du roi céleste il ne restait donc plus qu’E-Wang, qui fut rappelé à Nankin. Averti par les dangers qu’il avait courus, il refusa de revenir dans une cour livrée aux intrigues et aux complots ; il alla se mettre à la tête d’une armée dans les provinces de l’Ouest et s’y créa une sorte de principauté indépendante.

L’autorité impériale se rétablissait lentement dans les provinces maritimes, le Kouan-Tung, le Fokien, le Cheikiang, où les garnisons tartares étaient nombreuses ; Canton avait été débloqué. Amoy, Fou-Tchéou, Shanghaï avaient été repris sur les rebelles avec l’assistance des Européens et des forces navales qui protégeaient les factoreries ; mais, dans l’intérieur, la lutte se poursuivait avec des succès variables entre les Taïpings maîtres des campagnes, et les mandarins tartares cantonnés dans les villes fortifiées. Les scènes sanglantes de Nankin et la disparition ou l’éloignement de quelques-uns des chefs les plus habiles et les plus résolus de l’insurrection affaiblirent l’action des Taïpings, et en 1858 les généraux impériaux résolurent de tenter un grand effort contre Nankin, afin de frapper le rébellion au cœur. Tseng-Kouofan et son frère Tseng-Tsihuen, à la tête des levées qu’ils avaient faites dans le Cheikiang, et Cheng-Kwolian, avec les milices du Honan, arrivèrent jusque sous les murs de Nankin, qu’ils tinrent bloqué pendant quelques temps.

À ce moment se révéla un homme qu’on a nommé à juste titre le héros de la guerre des Taïpings, Li-su-Ching, auquel Tien-Wang venait de conférer le titre de Chung-Wang, c’est-à-dire le chef fidèle. Ce titre devait être justifié : hardi, énergique, infatigable, Chung-Wang, après avoir déployé les plus grands talens militaires, demeura fidèle jusqu’à la mort à la cause à laquelle il s’était dévoué. Nankin était approvisionné pour longtemps, et ses fortifications lui permettaient de braver les efforts des impériaux : après avoir organisé la défense de la place, Chung-Wangen sortit, alla prendre le commandement d’un corps d’armée à la tête duquel était un de ses cousins, appela à lui d’autres détachemens des provinces voisines, et se portant sur la base d’opérations des chefs impériaux, il les contraignit à lever le blocus de Nankin et les battit en détail. Une série de victoires rétablit l’autorité de Tien-Wang dans toute la vallée du Yang-tse, dans une partie du Cheikiang et dans toute la province de Kiang-Si, à l’exception de Shanghaï. Chung-Wang voulut s’emparer de cette place, puis compléter ses conquêtes, et il