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sa disgrâce. Tous les conseils et, à leur tête, le conseil des ministres, adressèrent aux régentes des mémoires qui, sous forme de pétitions, étaient de véritables protestations. Les impératrices cédèrent et, le 8 mai, un décret rendit au prince Kung ses charges et dignités, à l’exception du titre de président du conseil, que le décret lui retirait pour le punir de n’avoir pas toujours été « suffisamment respectueux. » Au titre près, le prince Kung n’en exerça pas moins un pouvoir aussi étendu que par le passé ; il en usa pour appeler au service du gouvernement des Européens qui pussent initier les Chinois aux progrès de la civilisation occidentale.

Les innovations introduites dans l’administration par le prince Kung et les faveurs dont il semblait combler les barbares suscitèrent contre lui une vive opposition à la cour et dans le monde des lettrés. Cette opposition se traduisit par une recrudescence d’hostilité contre les chrétiens, que l’on considérait comme la cause de tous les revers qui avaient atteint la dynastie : c’était à leur instigation et pour eux que les barbares avaient fait la guerre, et de nouveaux avantages avaient été stipulés en leur faveur dans chaque traité. Ils corrompaient le peuple ; ils attaquaient la religion et les lois de l’empire ; et il n’y aurait de tranquillité pour la Chine et de sécurité pour l’autorité impériale que lorsqu’ils auraient, été exterminés. Les opposans trouvaient un appui dans le prince Chun, qui avait jusque-là vécu en bonne intelligence avec son frère, mais qui ne dissimulait pas la haine qu’il portait aux étrangers. On fit circuler de nombreux écrits contre les Européens, et on ne craignit point de se servir du nom de l’empereur. Un de ces écrits, répandu à profusion dans le Sze-Chuen, était un dialogue entre un chrétien et un lettré : « Si les Européens sont si immondes, pourquoi le ciel ne les extermine-t-il pas ? — Par la même raison, répondait le lettré, qu’il laisse vivre les loups, les tigres et les panthères. » A l’objection que l’empereur permettait aux Européens de pratiquer leur religion et de trafiquer, le lettré répondait : « L’empereur actuel, oui : encore est-ce pour civiliser les barbares ; mais si, au lieu de se convertir, ils pervertissent des Chinois, notre devoir est de les exterminer par tous les moyens. » Il maudissait alors les traités comme une calamité nationale, il exhortait chaque famille à répandre cet écrit et, lorsque le signal serait donné, à se lever pour massacrer les Européens. Le dialogue était terminé par l’intervention de l’empereur, qui venait dire : « J’ai en horreur les Européens et leur religion ; je ne leur ai accordé le droit d’entrer dans mon empire que parce qu’ils m’y ont forcé par les armes ; je voudrais les exterminer, mais moi et mes mandarins, nous sommes impuissans à le faire. Toi, mon peuple, détruis cette religion, extermine tous ces Européens, et ton empereur sera content de toi. »