Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Commines : cette fable suffit pour entretenir l’auditoire dans un certain degré d’émotion ; L’intérêt n’est rompu qu’à la fin, lorsque l’auteur se guindé au faux sublime et prête à Nemours cette invraisemblable idée de commuer la peine de mort en peine de vie. c’est elle, cette industrieuse sagesse, qui rapproche un à un les traits épars de Louis XI ou du prétendu Louis XI, et procure au spectateur le plaisir facile de les reconnaître un à un : longtemps après le collège, chacun ne sent-il pas en lui un historien mort jeune à qui le pédant survit ? Enfin et surtout, c’est ce même génie de prudence qui règle par une économie parfaite la partie plaisante de l’ouvrage. Louis XI et ses ministres ont assurément du comique autant que du tragique en eux. Il s’agit, non pas de tirer ce comique des profondeurs de l’âme et de le faire jaillir avec une effrayante raideur, mais d’en découvrir certaines sources qui sont à fleur de caractère et de l’administrer à bon escient » N’ayez crainte : pour ce menu travail, l’auteur est de l’époque et de l’école de M. Scribe. Sans atteindre à sa virtuosité, il pratique ses artifices. Mêmes oppositions, mêmes reviremens, mêmes surprises préparées, mêmes avances à la sagacité du public ; tout ce système de complaisance à des esprits qu’on suppose moyens est mis en œuvre avec profit. Faciles et sûrs, tels sont les effets comiques de Louis XI ; après un demi-siècle d’exercice, ils sont plus faciles et plus sûrs. Chaque fois que Louis XI devient un Tartufe qui dévoile naïvement sa tartuferie, chaque fois qu’il devient un malade imaginaire qui descend au-dessous d’Argan, le rire éclate, sollicité par les mêmes moyens. C’est le comique de cette tragédie, plus que tout le reste, qui a triomphé l’autre soir, c’est le burlesque même, faudrait-il dire, car dans certains passages, comme dans la scène de la confession, la force du comique a passé l’attente de l’auteur. On accusera peut-être la vulgarité du comédien, qui exagère les mômeries de son personnage, et la vulgarité du public : mais l’une et l’autre, en somme, n’a-t-elle pas son excuse ? Jouer et comprendre cette sorte d’ouvrages plus vulgairement que ne le veut le poète, c’est aller plus loin qu’il n’exige, mais suivant son esprit. Tombé avec le temps à une couche de bourgeoisie inférieure, si Delavigne trouve plus bourgeois que lui, n’en plaignons pas sa mémoire : cette rencontre est sa dernière chance.

Il faut dire aussi que cette application qui ne suffit pas à créer un poète, et dont certains effets nous irritent, ce souci de bien faire et cette probité manquent aujourd’hui à plus d’un dramaturge, qui cependant n’a pas de génie. Le public sent ces mérites, et il en sait bon gré à l’auteur ; apercevant un ouvrage fait avec soin, il le reconnaît pour rare, et il le croit précieux. Enfin, le style de Louis XI, s’il est presque partout impropre et vague, faible et plat, se resserre par endroits, se raffermit et se relève ? de ci, de là, il fait trêve aux périphrases, il dit ce qu’il veut dire, il atteint à la rhétorique éloquente. A. l’ordinaire,