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rés à Paris. M. Barodet représente l’extrême gauche, qui représente évidemment la France ! M. Barodet a décidé souverainement, au nom du pays, que la constitution était violée, qu’il n’y avait rien de plus urgent que de rappeler les chambres pour remettre tout en ordre, pour arranger surtout nos affaires en Chine, et il s’est chargé de rédiger un manifeste pour sommer M. le président de la république de remplir son devoir constitutionnel en convoquant au plus vite le parlement. Il y a eu seulement, à ce qu’il paraît, quelques doutes sur la meilleure manière de donner de la solennité à cette démarche. On a hésité, puis on a fini par confier vulgairement à la poste le fameux manifeste adressé à M. le président de la république, en sa résidence de Mont-sous-Vaudrey. Qu’est-il arrivé ? M. le président de la république a répondu, avec le plus grand sérieux, qu’il connaissait trop ses devoirs pour se permettre d’intervenir dans de pareilles affaires, qu’il s’empressait de renvoyer le manifeste à M. le président du conseil, — et c’est ainsi que, si la constitution n’a pas été sauvée pour cette fois, ce n’est pas, au demeurant, la faute de l’extrême gauche, représentée par M. Barodet. — M. Barodet a dégagé sa responsabilité, et il a dans ses autographes le billet de M. le président de la république !

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les puristes du radicalisme semblent ne pas se douter de ce qu’il y a d’excentrique et de puéril dans la démarche qu’ils ont tentée. Que prétendent-ils ? Ils accusent M. le président du conseil de se mettre au-dessus ou en dehors de la constitution, de jouer au dictateur, de rétablir à son profit, pour son usage, le gouvernement personnel, et ils entendent eux-mêmes si bien la constitution qu’ils réclament de M. le président de la république l’acte le plus éclatant de pouvoir personnel ; ils lui demandent sa complicité contre le ministère qu’il a choisi, contre la majorité qui a soutenu jusqu’ici ce ministère. Ils font tout cela presque naïvement ! Si ce n’était qu’une fantaisie de radicalisme hantant quelques esprits extrêmes à propos des affaires de Chine, ce ne serait ni nouveau, ni particulièrement intéressant. Le malheur est que ce n’est point là un fait isolé et accidentel, que ce n’est qu’un signe de plus d’un certain état général où, par degrés, par une sorte de dépression croissante, on s’accoutume à confondre les idées les plus simples de gouvernement et de régime parlementaire, où tout se réduit à exploiter la république au profit de l’esprit de parti, de coterie ou de faction. C’est ce qu’il y a d’inquiétant, de redoutable dans une situation intérieure où l’on dirait que, depuis l’ère républicaine, il y a entre les ministères et les partis une sorte d’émulation pour fausser, pour user tous les ressorts politiques.

Assurément, M. le président du conseil reste pour le moment dans la plus simple vérité en gardant le droit de choisir son heure, qui peut, d’ailleurs, venir d’un instant à l’autre pour une convocation des cham-