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ment que M. de Giers commençait sans doute il y a huit ou dix mois dans un voyage à Vienne et à Berlin, qui s’est continuée depuis avec le concours de M. de Bismarck, et dont l’entrevue des trois empereurs paraît être aujourd’hui la dernière expression ou le couronnement. Les trois puissances ont dû commencer par s’accorder sur leurs rapports dans les Balkans, et elles se sont senties d’autant plus portées à se rapprocher intimement qu’elles ont depuis quelque temps une autre préoccupation qui n’est pas moins vive, celle de se défendre contre le danger commun des agitations révolutionnaires et socialistes ou nihilistes. Une entente pour suspendre, au moins momentanément, tout antagonisme en Orient et pour concerter la défense commune contre le nihilisme, c’est là vraisemblablement le secret de cette alliance qui se renoue avec la Russie, sans affaiblir l’alliance particulière, récemment renouvelée ou sur le point de se renouveler entre l’Allemagne et l’Autriche. C’est là, selon toute apparence, le grand et principal objet de ces voyages, de ces visites qui marquent ce nouvel automne, qui semblent replacer les trois empires du Nord dans les conditions où ils se sont un moment trouvés, par un coup de dextérité de M. de Bismarck, avant la dernière guerre d’Orient.

Après cela, que, dans ces entrevues de princes ou de diplomates, d’autres questions qui occupent aujourd’hui une partie de l’Europe puissent avoir aussi leur place, c’est bien à présumer. Il est fort possible que les cabinets de Berlin, de Vienne et de Saint-Pétersbourg, en se rapprochant, aient échangé leurs opinions sur les affaires d’Egypte et sur la politique de l’Angleterre aussi bien que sur les démêlés de la France avec la Chine, et, ici encore, qu’en est-il ? Quelle est la pensée, quelle sera l’attitude des chancelleries du Nord dans ces complications plus ou moins lointaines, où elles ont aussi des intérêts à sauvegarder, où elles peuvent exercer leur influence ? Si, dans les mouvemens diplomatiques des dernières semaines, il y a un fait caractéristique, c’est cette espèce de déplacement qui semble s’être opéré dans les relations à l’occasion des incidens d’Egypte et de Chine, qui est devenu peut-être plus sensible dans la conférence de Londres et à la suite de l’échec de la conférence. D’un côté, il est clair que les rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre sont assez refroidis. Les affaires égyptiennes n’ont pas seules contribué à ce refroidissement. M. de Bismarck, qui prétend, lui aussi, avoir sa politique coloniale, qui en poursuit patiemment l’application sur les côtes d’Afrique, où les Allemands cherchent à s’établir, M. de Bismarck croit avoir à se plaindre de l’opposition qu’il rencontre de la part de l’Angleterre, et il n’est pas homme à déguiser son humeur. Entre Allemands et Anglais il y a un échange assez fréquent de duretés ou de vérités qui, pour le moins, crée une situation difficile, en dépit des déclarations pacifiques et conciliantes prodiguées par M. Gladstone dans ses plus récens dis-