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pas trop impressionné par sa mort. Son irritation fut plus vive quelques semaines plus tard, quand il apprit que le roi de Navarre, qui était sorti du Louvre pour aller chasser dans la forêt de Senlis, venait de se réfugier à Alençon. Toute sa colère retomba sur Marguerite ; il lui ordonna de ne pas quitter son appartement et en fit garder les portes. Catherine ne se montra pas moins courroucée. Marguerite eut beau soutenir qu’elle n’y était pour rien, que le roi était parti sans même lui dire adieu ; « Ce sont des petites querelles de mari à femme, répondit-elle, mais on sait bien qu’avec de douces lettres il vous regagnera et que, s’il vous mande de l’aller trouver, vous irez ; c’est ce que le roi mon fils ne veut pas. »

Cédant aux instances de Henri III, Catherine se mit à la poursuite de d’Alençon. Lorsqu’elle parvint à le rejoindre, il imposa pour première condition à un accord la mise en liberté de sa sœur. Une trêve de quelques mois fut donc signée entre la mère et le fils, mais les clauses n’en ayant pas été loyalement tenues, le duc d’Alençon, loin de déposer les armes, appela à son aide le duc Casimir, qui vint le joindre avec sept mille reîtres. Grossie de tous les mécontens, l’armée rebelle devint un véritable danger. Suppliée par Henri III de reprendre son rôle de médiatrice, Catherine, pour avoir plus facilement raison de son fils, emmena Marguerite et Mme de Sauve. Si le duc se montra cette fois plus docile, il ne céda pas uniquement aux instances de sa sœur et aux caresses insidieuses de Mme de Sauve ; il convoitait déjà cette couronne ducale que lui offraient les provinces des Flandres en pleine révolte contre Philippe II ; et lorsqu’aux états qui se réunirent à Blois, la majorité catholique invita le roi à maintenir l’unité de religion et à en finir avec la dernière résistance des protestans dans le Bourbonnais et l’Auvergne, lui, leur allié de la veille, il accepta le commandement de l’armée qui allait les combattre et leur reprit La Charité et Issoire. De son côté, Marguerite était partie pour les Flandres, où elle allait recruter des auxiliaires et des amis pour son frère d’Alençon ; mais elle ne dépassa pas Liège, et son retour ne fut pas sans danger : guettée à la fois par les Espagnols et par les protestans de France, en armes sur la frontière, elle ne regagna qu’à grand’peine La Fère, où elle avait donné rendez-vous au duc d’Alençon.

Durant les deux mois qu’elle y passa et qui ne « furent que deux petits jours, » elle s’y trouva dans une intimité forcée et de tous les instans avec le bel Harlay de Chanvalon, qui partageait avec Jean de Simier la faveur du duc. Si, dans cette première rencontre, elle fut soutenue contre elle-même par le souvenir de Bussy, elle y reçut du moins ce premier coup de foudre qui jettera plus tard un si grand trouble dans sa vie.