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était en lutte perpétuelle avec le roi de Navarre. Catherine emmenait avec elle le prince de Montpensier et son fils, le cardinal de Bourbon, et trois hommes d’état d’une habileté incontestable, Paul de Foix, La Mothe-Fénelon et Pibrac. Son escadron volant était au grand complet et sur le pied de guerre. A l’avant-garde ses filles d’honneur, Bazerne, Dayelle, cette jeune Grecque échappée du sac de Chypre, et d’Atrie, de la maison d’Aquaviva, puis Le Rebours et Fosseuse, filles d’honneur de Marguerite. A l’arrière-garde, la duchesse de Montpensier et la duchesse d’Uzès, la langue la plus affilée de la cour ; enfin, Mme de Sauve, cette aguerrie de vingt-cinq ans, qui, à la rigueur, pouvait passer pour une vieille femme à côté de ces jeunes filles à leur première campagne.

Il entrait dans la politique de Catherine que sa fille fût reçue en reine dans toutes les villes de la Guyenne. Bordeaux fit donc à Marguerite une magnifique réception. A la porte de la ville, le maréchal de Biron, l’archevêque, et le premier président du parlement, Largebaston, la haranguèrent. A chacun d’eux elle fit une réponse différente ; puis, montée sur une haquenée blanche, vêtue d’une robe couleur orange, elle fut conduite en grande pompe, et aux acclamations de la population, jusqu’à la cathédrale. Les deux reines séjournèrent pendant sept jours à Bordeaux. Le 1er octobre, elles allèrent coucher à Cadillac, et le lendemain à Saint-Macaire. La Mothe-Fénelon et Pibrac, envoyés en éclaireurs, vinrent les prévenir que le roi de Navarre les rejoindrait, ce jour-là, dans une maison de campagne appelée Casteras, à mi-chemin de Saint-Macaire à La Réole. Arrivées les premières, les reines montèrent dans une chambre et attendirent. Une heure après environ, le roi de Navarre arriva, escorté par six cents gentilshommes, tous richement vêtus et bien montés. Suivi du vicomte de Turenne et de ses principaux compagnons, il entra dans la pièce où se tenaient les reines ; de fort bonne grâce, il salua Catherine, et par deux fois embrassa sa femme sur les deux joues. Le chariot de Catherine était resté devant la porte ; elle et sa fille y montèrent et le roi prit place en face d’elles.

Dès les premiers jours de l’arrivée de la cour à La Réole, s’engagèrent les escarmouches de la petite guerre des œillades. Mme de Sauve espérait bien reprendre son royal amant, mais c’était de l’histoire ancienne. De préférence, le Béarnais aimait les fruits verts ; il n’eut d’attentions que pour Dayelle, la belle Cypriote. De son côté, Mlle d’Atrie se donna le malin plaisir de rendre amoureux Ussac, le vieux gouverneur de la place. Le roi l’en ayant raillé, d’Ussac, blessé au vif, se promit de se venger, et nous verrons qu’il tint bientôt parole.