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m’être trompée en vos douces et belles paroles, n’estant seule au monde qui suis tombée en tel accident, lequel me pèse de si longtemps sur le cœur que je ne me suis pu plus longtemps empescher de m’en plaindre à vous-mesme, car je ne veux autre témoin que votre conscience pour juge. »

Écrasé par ce coup de massue et se sentant incapable pour le moment de se défendre, Pibrac répondit qu’il était très malade et dans l’impossibilité d’écrire. Marguerite, sans trop y croire, lui redemanda ses sceaux dans l’intérêt de son repos « dont elle n’étoit pas moins soigneuse qu’il l’était du sien. » Pibrac mit un grand mois à préparer sa réplique ; il chercha non sans peine à atténuer les termes trop vifs de sa seconde lettre. L’excuse qu’il en donne peint bien les mœurs de l’époque : « Notre façon d’être aujourd’hui, dit-il, est pleine d’excès. On n’use plus simplement de ces mots : aimer et servir ; on y ajoute, extrêmement, passionnément, éperdument et d’autres semblables, jusqu’à donner de la divinité aux choses qui sont moins qu’humaines. »

Cette petite exécution de Pibrac ne fut pour Marguerite qu’une diversion à l’ennui que lui causait l’éloignement de Chanvalon et qu’un dérivatif à l’irritation de ses nerfs. Elle allait avoir à l’occasion de Fosseuse une cause plus sérieuse de chagrin.

Durant son séjour en Guyenne, le duc d’Anjou s’était occupé de cette jeune fille ; le Béarnais s’en montra jaloux. Fosseuse, qui n’avait laissé prendre jusqu’ici au roi que d’innocentes libertés, lui donna alors des preuves si affirmatives de sa préférence, qu’un beau jour elle se trouva grosse de ses œuvres. Pour parer à ce fâcheux accident, le roi proposai à Marguerite de partir pour les eaux chaudes ; elle s’y refusa. Néanmoins, par une sorte de transaction tacite, il fut convenu, que le roi emmènerait aux eaux chaudes Le Rebours, Ville-Savin et Fosseuse sous la conduite, d’une gouvernante, et que Marguerite irait à Bagnères. Ce projet se réalisa, car de Bagnères, la reine écrivit à sa mère : « Je suis venue à ces bains pour voir s’il me seroit si heureux que de pouvoir faire par moi augmenter le nombre de vos serviteurs. Plusieurs s’en sont bien trouvées. » Au retour de son mari à Nérac, Marguerite essaya d’arracher un aveu à Fosseuse ; elle lui offrit de la conduire dans une maison discrète, et de dérober à tous les yeux sa faute, qui n’était que trop visible. Au lieu d’en savoir gré à sa maîtresse, Fosseuse répliqua avec arrogance qu’elle donnerait un démenti à tous ceux qui auraient mal parlé d’elle ; mais, une belle nuit, le roi frappa à la porte de Marguerite et la supplia de venir assister la coupable, prise des douleurs de l’enfantement. Elle le fit avec une complaisance méritoire. Le lendemain, le roi ayant exigé qu’elle continuât ses