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propriétaire de toute ferme portée aux rôles pour environ 13 francs d’impôt foncier et valant au moins 10,000 francs, pouvait la déclarer « bien héréditaire » (Erbgut) et la faire enregistrer en cette qualité par le conservateur des hypothèques. Un pareil bien ne peut échoir qu’à un « héritier principal, » qui, en cette qualité, a droit au tiers de la valeur de la propriété, libre de toute charge ; il prend en outre sa part proportionnelle des deux autres tiers, que se partage l’ensemble des héritiers.

Cette loi resta lettre morte, elle n’accordait pas assez aux uns et trop aux autres ; elle serait peut-être complètement oubliée aujourd’hui, s’il ne s’était pas formé récemment un fort courant d’opinion contre le morcellement de la propriété. Qu’on en ait ou non conscience, ce qui donne une certaine violence à ce courant, c’est que le remède ne guérit pas le mal, il le transforme seulement. Lorsque la propriété passe à l’héritier principal, celui-ci s’endette pour indemniser ses cohéritiers, qui prennent le plus clair de son revenu ; il ne peut plus que végéter, et à la génération suivante il faudra vendre ; or vendre, c’est morceler. On aurait aussi bien fait de partager la-ferme tout de suite. Il s’est cependant aussi élevé des voix pour contester la nécessité de protéger la grande et la moyenne propriété ; on a montré que la petite culture rendait des services non moins importans, et qu’elle avait surtout le mérite de retenir dans le pays une population qui, dans certaines provinces, est presque forcée d’émigrer. Que peuvent faire les enfans avec une légitime de quelques milliers de francs ? S’en servir pour chercher fortune ailleurs.

La petite propriété, cependant, n’a que peu de prôneurs. Il n’est pas nécessaire, en effet, d’insister sur les avantages du morcellement, puisque la force des choses y mène ; la population, en se multipliant, réduit naturellement la part de chacun. La pente est seulement trop rapide, ce sont des freins qu’on demande avec instance. On n’a pas manqué d’en proposer. L’un des plus vantés, l’emphytéose, a même déjà trouvé une large application dans le Mecklembourg, contrée dont le retard sur le reste de l’Allemagne était devenu proverbial, mais qui, dans ces dernières années, a fait beaucoup de chemin sans qu’on s’en soit aperçu. C’est une véritable révélation que M. Paasche, professeur à l’université de Rostock, nous a faite[1]. On savait depuis longtemps que la plus grande partie du territoire de Mecklembourg-Schwerin appartenait au grand-duc -à titre de domaine privé. Les cultivateurs qui habitaient ce territoire, serfs jusqu’en 1820, en devenant libres furent considérés

  1. Bäuerliche Zustände, t. III, p 327 et suiv.