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la vie musicale que certains élémens ; il lui manque le rythme et la mélodie, il se contente de déclamer.

C’est, je le répète, le primitif et le préhistorique. Des siècles avant qu’il fût question de l’opéra, les Grecs ont connu le récitatif, et, après eux, les religieux du moyen âge, dans leurs antiphonaires et leurs litanies. L’ennui qui s’en exhale était déjà proverbial au temps de Lulli ; Gluck lui-même ne l’emploie qu’en le coupant avec des ariosos qui tempèrent sa monotonie. Car, tout réformateur qu’il soit, l’auteur d’Orphée et d’Armide ne perd jamais de vue les conditions architecturales ; il sait que la musique vit de proportions, de symétrie et de rappels, qu’elle est, dans la plus large acception du terme, un rondo perpétuel, et qu’une mélodie sans temps d’arrêt, une « mélodie continue, » n’est pas une mélodie.

L’heure n’est peut-être pas éloignée où l’on verra que nous avons eu tort de changer tout cela. Les artistes comme le public d’autrefois. n’y mettaient point tant de byzantinisme, ils chantaient tout ce qui était chantable et parlaient le reste. Car il faudra tôt ou tard qu’on le reconnaisse : l’opéra est un genre qui exige une certaine naïveté esthétique, aussi bien de la part de celui qui compose que chez ceux qui écoutent, et c’est sans doute la raison pour laquelle Mozart, le plus grand de tous, est un naïf. Richard Wagner n’entend pas de cette oreille-là ; la symétrie l’offusque et l’irrite, tout parallélisme l’exaspère, il proscrit les répétitions de mots, condamne la période et ne s’aperçoit pas que c’est la strophe qui soutient le texte musical et que le dialogue illimité est la négation absolue de la musique. Répéter les mots, voyez un peu le beau scandale ; mais ce péché, dont à l’époque de Bach et de Händel, on tirait gloire, qui ne l’a commis, depuis Rameau et Gluck jusqu’à Weber, Rossini, Auber et Meyerbeer ? et lui-même, Richard Wagner réussit-il à l’éviter ? Pas le moins du monde, il s’y prend simplement d’une autre manière ; il ne répète pas le mot, mais il tourne et retourne l’idée en variantes inépuisables ; il ressasse et rabâche au plus grand déplaisir du spectateur, qui se fâche à la fin d’entendre toujours la même idée lui revenir sons d’autres mots : car, du diable si les événemens en vont plus vite ! poète et musicien ; piétinent sur place, voilà tout.

Nous savons tous qu’aujourd’hui les opinions poussent à l’extrême et que, dans l’art comme dans la politique, il n’y a que radicalisme et intransigeance. Néanmoins, en présence de ces conflits obstinés entre la nouvelle poétique dramatique et les lois organiques de la science musicale, nombre de bons esprits commencent à s’inquiéter des prochaines destinées de l’opéra. Sans aller aussi