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d’approfondir davantage. Avec nos goûts, ce que nous emportons, ce sont nos préjugés. Au XVIIIe siècle, pour admirer, la France, il n’y a rien de tel que d’arriver du fond de l’Allemagne, mais, réciproquement, pour n’y trouver quoi que ce soit de bien, rien n’est tel que d’y venir d’Angleterre. Rien de plus rare d’ailleurs en tout temps, comme l’on sait, que de bien voir, ce que l’on voit, c’est-à-dire avec ses yeux, et non pas à travers les visions des autres. Est-il besoin d’insister ? Tant vaut l’homme, tant vaut le témoignage. Et cependant, parmi les règles élémentaires de la critique historique, il n’en est peut-être pas une qui soit aujourd’hui moins fidèlement observée. La superstition de l’inédit n’est égalée que par celle de la lettre moulée. Les sottises imprimées, comme les appelait Voltaire, se réimpriment d’âge en âge, uniquement pour avoir été une première fois imprimées. Mais je suis persuadé que si l’on faisait une bonne fois la critique de nos voyageurs étrangers, bien des contradictions s’évanouiraient qui ne viennent que de ce que l’on traite avec le même respect deux témoignages dont aucun quelquefois ne le mérite et qui, en tout cas, sont rarement du même titre et du même poids. Cette critique, M. Babeau, très habitué à comparer des textes et confronter des témoins, l’a faite, quelquefois, et presque partout indiquée, mais en courant et comme en hâte. C’est encore un défaut, et un grave défaut, de son livre qu’elle n’y occupe pas plus de place, et surtout une place plus apparente.

Une autre chose à laquelle il n’a pas non plus donné toute l’attention qu’il eût fallu, c’est l’itinéraire que suivent ses voyageurs. Pour beaucoup de raisons, dont les plus puissantes se tirent des exigences de la centralisation administrative, nous avons possédé de bonne heure, et en tout cas plus tôt que la plupart des autres peuples européens, un vaste réseau de voies de communication, royalement tracées et royalement entretenues. Au long de ces grandes routes, que les étrangers ne sellassent points d’admirer, les terres, naturellement, en raison de la facilité des abords, comme il arrive au long des grands fleuves, ont été mises en valeur, mieux soignées, mieux cultivées, mieux entretenues. Les voyageurs qui suivaient les grandes routes ont donc tous à l’envi célébré la richesse ou la beauté du spectacle qui, de droite et de gauche, se déroulait à leurs yeux. C’est ce qui me met en défiance de Mme Laroche et du docteur Rigby. Quand ils vantent la fertilité des régions qu’ils traversent, je crains qu’allant de ville en ville, en suivant les grandes routes, ils n’aperçoivent que le décor, fait à souhait comme au théâtre, et rien ou peu de chose de ce qu’il y a par derrière, un peu plus à peine que l’on n’en voit par la portière d’un wagon. Leur témoignage peut donc bien n’être pas aussi contradictoire qu’il le parait d’abord à ceux qu’on leur oppose : il ne s’agit souvent que de les concilier. Où Rigby n’a cru voir que des marques d’aisance et de prospérité, Arthur