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possession des gages que la France veut s’assurer dans l’île Formose ? La question reste assez obscure ; elle ne s’éclaircira peut-être que par un nouveau coup d’éclat de notre marine, qui forcera la Chine à se dévoiler, à montrer si elle veut accepter les conditions de la France ou si la guerre doit décidément prendre de plus vastes proportions.

Les affaires de l’Europe ne sont pas sans doute à l’abri des surprises et des bourrasques qui peuvent toujours éclater à l’improviste sur un continent si souvent troublé, si profondément remué depuis un siècle. Pour le moment du moins, à cette heure d’automne, rien ne laisse prévoir de prochaines, de bien sérieuses complications, même là où il y a des embarras, et cette entrevue de Skierniewice, qui, pendant quelques jours, vient d’occuper ou de distraire les curiosités européennes, n’est pas faite pour inquiéter le monde. Elle a eu lieu, en effet, cette entrevue, qui a été si patiemment négociée, préparée depuis quelques mois, qui, jusqu’au dernier instant, a été mise en doute par les incrédules ou a paru enveloppée d’une certaine obscurité. Le vieux souverain d’Allemagne, malgré son grand âge, n’a pas craint de quitter son empire pour aller visiter l’empereur Alexandre III en terre de Pologne. L’empereur François-Joseph d’Autriche, de son côté, est arrivé par la Galicie au rendez-vous donné et accepté d’un commun accord. Les souverains ont eu pour compagnons de voyage et de villégiature passagère leurs chanceliers, leurs ministres des affaires étrangères, M. de Giers, M. de Kalnoky et M. de Bismarck lui-même. Deux ou trois jours durant, ces personnages, qui, assurément plus que tous les autres, tiennent dans leurs mains la paix et la guerre, se sont trouvés réunis dans ce vieux château de Skierniewice, que Napoléon, au temps de ses victoires, donnait au maréchal Davout, qui a été habité depuis par la princesse de Lowicz, l’idole du grand-duc Constantin. Comment le vieil empereur Guillaume a-t-il consenti à se déplacer pour aller recevoir l’hospitalité de son jeune et impérial neveu ? Comment l’empereur François-Joseph, qui, lui aussi, est un des plus anciens souverains, qui n’a jamais eu beaucoup le goût des voyages en territoire russe, s’est-il décidé cette fois ? Quel motif puissant enfin a déterminé M. de Bismarck à être du voyage et de la visite impériale en Pologne ? On a voulu sans doute faire la politesse complète à l’empereur Alexandre III en répondant à son invitation et rendre le rapprochement des trois empires plus sensible par une démonstration éclatante de cordialité. On a voulu parler à l’imagination de l’Europe. L’effet a été produit jusqu’à un certain point, et c’est ainsi que les annales de la diplomatie comptent une entrevue de plus faisant suite à toutes ces entrevues de Gastein, d’Ischl, de Varsovie, de Berlin, qui ont eu leur jour et leur heure dans notre temps. Toutes ces entrevues de princes et d’empereurs n’ont pas toujours tenu ce qu’elles semblaient promettre, et on