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bien qu’en Chine, rien certes de plus simple. Ce n’est pas la première fois qu’il y a des dissentimens entre des nations ou entre des gouvernemens. Le danger est de trop grossir des incidens qui n’ont qu’une gravité momentanée, qui doivent se dénouer par d’équitables transactions, de laisser s’établir des habitudes d’animosité entre des pays liés par tant d’intérêts communs. Que peuvent gagner les deux peuples à ces séparations arbitraires fomentées par les polémiques imprévoyantes ? Les Anglais nous ont rappelé souvent avec peu de bienveillance que nous étions isolés : ils le sont à leur tour ; et qu’on y songe bien : quand l’Angleterre et la France sont séparées, isolées, ce n’est pas seulement une faiblesse pour les deux nations, c’est une faiblesse pour l’Europe ; Quand elles sont unies, alliées, elles représentent une force qui peut rendre impossibles certaines subversions. C’est là l’intérêt supérieur qu’il ne faudrait pas oublier.

La crise qui agite en ce moment la Belgique, pour être étrangère aux grandes affaires diplomatiques du jour, pour n’avoir qu’un caractère tout intérieur, n’a pas moins un intérêt des plus sérieux. C’est une épreuve aussi grave qu’imprévue pour le régime parlementaire, pour les institutions d’un petit pays qui, depuis un demi-siècle, a vécu, a prospéré dans la liberté, par la liberté ; c’est aussi un exemple de plus des inconséquences, des violences que les partis mettent dans leurs luttes, dans leurs revendications. On aurait pu croire qu’après les émotions, les surprises des dernières élections, les esprits s’apaiseraient par degrés et que tout rentrerait bientôt dans l’ordre, que le ministère porté au pouvoir par un mouvement régulier d’opinion né rencontrerait dans tous les cas qu’une opposition régulière, toute pacifique, une opposition de polémique et de parlement. Ce n’est pas tout à fait ainsi que les choses se sont passées. Depuis que le scrutin a prononcé, accomplissant une révolution de majorité dans la chambre des représentai comme au sénat, ramenant les catholiques au gouvernement, l’irritation n’a fait que s’aggraver et s’envenimer. La lutte des partis n’a pas tardé à se concentrer sur un point capital, sur cette loi scolaire ou d’enseignement primaire que le nouveau cabinet s’est hâté de présenter aux chambres comme le plus clair témoignage de sa récente victoire, comme l’expression de sa politique. La résistance à la loi scolaire a été pour les libéraux le mot d’ordre d’une opposition bruyante, passionnée, dont le premier défaut était de paraître vouloir défaire par les pressions extérieures, par des moyens irréguliers, ce qui venait d’être fait par un scrutin régulier et libre. On ne s’est pas borné à des manifestations qui étaient visiblement destinées à agir sur le parlement et qui ont bientôt dégénéré en scènes tumultueuses, en collisions violentes ; les bourgmestres libéraux des grandes villes de Bruxelles, de Liège, d’Anvers, se sont réunis pour aller présenter solennellement au roi leurs doléances, pour