Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/887

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce serait cependant un travail assez consolant et plein de surprises que de relever sur une carte tous les points du globe où des Français se sont groupés et de dresser un état sommaire des résultats qu’ils y ont obtenus, des capitaux qu’ils ont créés, de ceux qu’ils ont répandus dans leur pays d’origine en attirant là où ils s’étaient établis des produits industriels et les navires français.

Sans vouloir tenter aujourd’hui ce travail, nous voudrions essayer de détourner un peu de l’attention de ceux qui s’intéressent aux progrès de la France à l’étranger, sur un pays qu’il ne s’agit de conquérir ni de civiliser, mais dès longtemps acquis à nos idées françaises, à leur influence, vivant de notre vie, partageant nos goûts, pratiquant nos mœurs, oubliant ses origines espagnoles pour rechercher surtout l’écho de tout ce qui se dit ou s’écrit en France, d’un pays en même temps où s’est formée depuis plus d’un demi-siècle et développée depuis trente ans une colonie, quelque chose de plus qu’un groupe en pays étranger, une véritable réduction de la société française démocratique, ayant ses journaux, ses assemblées, ses lettres, ses écrivains, ses artisans, ses propriétaires, ses théâtres, ses lieux de réunion, ses luttes simili-politiques, ses maisons d’enseignement, de refuge, d’asile ou de secours, puissante par son union, par ses habitudes laborieuses, son esprit industrieux et économe, utile à la mère patrie, dont elle fait aimer le nom, connaître les productions, dont elle attire, occupe et multiplie les capitaux, sans demander en retour que l’on sache même qu’elle existe, qu’elle est grande et qu’elle est prospère, heureuse seulement si elle entend dire qu’elle peut servir de modèle à toutes les créations de ce genre.


I

Ceux qui ont habité l’étranger savent combien est vivace chez les Français du dehors le culte de la patrie. Pour eux, ce sentiment résume et embrasse toutes les affections de famille, tous les souvenirs du jeune âge restés vivans au fond du cœur sous leur forme primitive, avec toute la fraîcheur qu’ils avaient au jour du départ. Aussi sont-ils toujours arrivés de la veille et disposés à repartir dans un avenir prochain qu’ils indiquent à l’avance, que leur désir rapproche, et que le succès aussi bien que les revers éloignent aussi facilement. Ils passent ainsi dix ans, vingt ans, une existence entière, travaillant toujours, laborieux, économes, honnêtes, scrupuleux, souvent plus qu’ils ne le seraient dans leur milieu d’origine, soucieux qu’ils sont de la considération des étrangers pour le groupe auquel ils appartiennent, sévères pour ceux qui tombent et font