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création des industries qui ont pour objet de transformer les produits de l’agriculture. C’est ainsi qu’ils créèrent la minoterie, représentée par d’importans moulins à vapeur, groupés autour des grandes villes où se tiennent les marchés aux céréales, appartenant presque tous à des Français, aussi bien que les quelques moulins à eau que l’on a pu créer dans la campagne. Quelques essais de distillerie ont été aussi tentés. Mais la création la plus importante dans cet ordre des industries qui demandent à l’agriculture ses matières premières est la brasserie Bieckert, dont les produits se répandent aujourd’hui dans toute l’Amérique du Sud, et qui, fondée il y a vingt ans, a constamment amélioré ses procédés et son outillage, augmenté ses caves et ses constructions ; restée propriété exclusive de son créateur, elle représente aujourd’hui un capital industriel et commercial de plusieurs millions.

Ces grandes créations de l’industrie agricole ne sont pas les seules ; à côté d’elles figurent les fabriques françaises d’huile de lin, d’olives, d’arachide, de colza, les amidonneries, les fabriques de biscuits secs, de beurre, de fromages, de conserves alimentaires, de chocolat, la carrosserie, une grande teinturerie, des fonderies, des ateliers de construction, grandes industries créées presque toutes par l’initiative privée de quelques ouvriers, en dehors de l’aide des capitaux, qui ne sont venus à elles que lorsque leur succès a été consacré. Elles produisaient dans l’ombre lorsque l’exposition locale improvisée en 1876 les révéla ; en 1881, une exposition internationale, dont l’idée et l’exécution furent absolument françaises, consacra leur importance et aida puissamment à leur développement.

Parmi ces exposans combien sont parvenus à la fortune, dont les débuts ont été des tâtonnemens industriels, à qui les premières ressources ont été fournies par les économies prélevées sur leurs salaires, accumulées pendant le stage plus ou moins long qu’il leur a fallu faire dans une industrie qui le plus souvent n’était pas la leur Le capital français n’a pas pris l’habitude d’émigrer, il est de sa nature trop prudent et sait trop qu’il y a dans toute entreprise lointaine une grande proportion d’aventures : c’est affaire aux individus de les courir, le capital ne s’y résigne pas. Ce qu’il ignore le plus, c’est que l’émigrant, celui qui précisément songe à courir ces aventures, n’est jamais le premier venu. C’est toujours un esprit entreprenant et ambitieux, ayant en lui ce ressort principal du succès, l’énergie et la résolution. Émigrer pour rester ouvrier à gages, s’enrégimenter à l’étranger comme on peut le faire dans son pays, à quoi bon ? L’ouvrier, l’artisan, l’homme qui connaît son métier ne songe qu’à devenir patron ; il serait plus juste de dire son patron ; car, dans l’industrie qu’il crée au dehors, le plus souvent avec de minces