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Par un exemple on jugera du caractère de ces chansons. Une fiancée pleure ainsi la perte de son amant : « O soleil, couche-toi, descends dans ta retraite ; tu es cause que les larmes ruissellent de mes yeux comme l’eau des fontaines. Je suis abandonnée de toi, ô Taratiu, depuis longtemps éloigné de mes regards. Les collines lointaines de Waiohipara et la surface mouvante de l’eau apparaissent brillantes comme le feu. Mon idole que j’adore est dans la tombe. Que son esprit cesse de me visiter, afin qu’un jour, peut-être, je puisse oublier mon chagrin ! » Une mère, femme d’un grand chef, guerrier valeureux et orateur renommé, exhale ainsi sa plainte sur l’absence d’un fils : « Les brillans rayons du soleil éclairent Tawara, dont les sommets grandioses te cachent àmon regard, ô Amo, mon bien-aimé. Laissez-moi, que mes yeux puissent pleurer, et que sans cesse ils se désolent, car bientôt je vais descendre au sombre rivage vers mon bien-aimé qui est déjà parti. »

On s’amusait à la Nouvelle-Zélande, comme on s’amuse en Europe, par toutes sortes de jeux, surtout par des danses. Il y en avait de tous les genres : pour le plaisir, où l’on recherchait les poses gracieuses ; pour la guerre, où s’accentuaient les mouvemens les plus frénétiques et les grimaces les plus affreuses. Certaines danses étaient exécutées par les femmes seules, d’autres par les hommes ; mais, en général, hommes et femmes se mêlaient. Ces dernières avaient pour principal amusement le tangi, ou scène de désespoir. On voyait des femmes feindre la douleur, tordre les bras avec l’expression du plus poignant chagrin, pousser des cris déchirans, tandis que les larmes coulaient en abondance. L’étranger n’apprenait qu’avec surprise que tout cela était un simple jeu et se reprochait d’avoir été pris de compassion. Dans la société maorie, on trouvait ce divertissement d’un goût exquis. Chez ce peuple hospitalier, si des personnages de distinction se présentaient devant un pah, les femmes, grimpées sur une haute plate-forme, agitaient des branches d’arbres et invitaient bruyamment les visiteurs à entrer. Alors commençait le tangi. Quand c’était achevé, on frottait du nez le nez des nouveaux amis, mode de saluer chez les Polynésiens. Les habitans du pah apportaient dans des corbeilles des victuailles et s’avançaient vers leurs hôtes en faisant retentir l’air du chant d’invitation, et chacun prenait sa place au festin.

Des Maoris que connurent le capitaine Cook et même le commandant Dumont d’Urville il ne reste qu’une ombre. Ces hommes durs, cruels, sans pitié dans l’exercice de la vengeance, mais d’une intelligence vive et d’une bravoure à toute épreuve ; ces hommes industrieux et ingénieux, qui cultivaient une sorte d’art et une sorte de poésie, ont été broyés dans la lutte avec les Européens. Les descendans des farouches guerriers néo-zélandais, comme emprisonnés