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soldats en avant sans leur donner les moyens de marcher. Aux premiers temps, quand on n’avait pas l’expérience de cette guerre ou qu’on ne savait pas même ce qu’on voulait, cela pouvait encore se comprendre, quoique ce fût déjà singulièrement dangereux, les événemens l’ont bien montré. Maintenant qu’on est engagé et qu’il n’y a plus de retraite possible, ce n’est plus le moment de tergiverser, de marchander les forces et les ressources. Il ne reste plus qu’à pousser résolument les choses, à mettre nos chefs militaires en mesure de remplir leur mission jusqu’au bout, et c’est probablement encore le meilleur moyen de décider la Chine à la paix, d’en finir avec ces complications lointaines. Tel est cependant l’enchaînement des choses que ces affaires de Chine ne sont pas sûrement étrangères à un fait nouveau, inattendu, à une curieuse phase de diplomatie. Qui aurait dit, il y a peu d’années encore, que le jour viendrait où, entre la France et l’Allemagne, il y aurait un rapprochement, une sorte de concert ou d’accord, non pas sans doute sur les affaires européennes, mais sur toutes ces questions de politique coloniale qui s’agitent aujourd’hui dans le monde, dans l’extrême Orient, en Égypte ou au Congo ? C’est pourtant ce qui arrive. M. de Bismarck qui a, lui aussi, sa politique coloniale, qui a déjà ses établissemens sur les côtes d’Afrique et qui a eu à cette occasion des démêlés avec l’Angleterre, M. de Bismarck a eu l’idée de provoquer une entente avec la France, qui s’y est prêtée. Il n’en a pas fallu davantage pour remettre les imaginations en mouvement, pour réveiller tous ces bruits d’une alliance de l’Allemagne et de la France, de combinaisons nouvelles et énigmatiques en Europe. On n’en est pas tout à fait là et l’incident, pans laisser d’être singulier, n’a certainement pas la signification que les imaginations complaisantes ou effarées lui prêtent. En réalité, il s’agit d’un objet plus modeste ou plus spécial, d’une conférence qui se réunirait à Berlin pour régler les conditions de navigation dans le bassin du Congo et sur le Niger, pour définir aussi le droit d’occupation des territoires sur lesquels n’a flotté encore aucun pavillon civilisé. On aurait à délibérer sur une sorte de supplément de droit international appliqué à des régions fermées jusqu’ici à la civilisation. La France n’avait évidemment aucune raison de faire de la politique de mauvaise humeur, de refuser son concours, bien entendu dans la mesure de ses intérêts et sans aliéner sa liberté. Elle s’est rendue à la proposition qui lui a été faite, et l’entente établie entre Paris et Berlin n’est en définitive que le préliminaire de la conférence qui va se réunir, à laquelle les autres puissances sont conviées. On aura dans quelques jours, à ce qu’il parait, ce spectacle assez nouveau, et c’est ainsi que tout se mêle, que les affaires de diplomatie s’enchaînent, la conférence de Berlin après celle de Londres, au moment même où la vie parlementaire va recommencer un peu partout en Europe.