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moyen d’arracher par la force ce qu’on ne pouvait obtenir de sa bonne volonté. Bellièvre le vit à Mont-de-Marsan le 21 novembre. Le Béarnais reprit l’argumentation de Mornay : « Si la reine était innocente, il falloit châtier les calomniateurs ; si elle étoit coupable, il falloit la punir. — Qui l’accuse ? dit Bellièvre. Là où il n’y a pas d’accusateurs, il n’y a pas d’accusée. — Alors, répondit le roi, pourquoi a-t-on arrêté Mmes de Duras et de Béthune ? — Aucune charge n’est résultée de leur déposition, répliqua Bellièvre. — Pourtant, cent mille copies de cette information, répliqua le roi ont été colportées dans tout le royaume. — S’il y en a eu tant, dit Bellièvre, que Votre Majesté veuille bien m’en montrer une. — Vous parlez en sophiste, » riposta le Béarnais, et sur ce, le congédia. Le lendemain, il lui déclarait qu’il ne reprendrait sa femme que si les garnisons des villes voisines de Nérac étaient retirées.

Mis en demeure de retourner à Bordeaux sans meilleure réponse Bellièvre s’excusa de son insuccès auprès de Marguerite : « Je n’ai pas moyen de forcer la volonté d’un tel prince ; j’ai souffert ce coup tel qu’il me l’a voulu donner. Je vous supplie, madame, de ne pas me l’imputer à faute de bonne volonté. M. de Birague, qui n’avoit pas encore pu voir le roi votre mari, est resté à Mont-de-Marsan. » Le capitaine Chrles de Birague, un de ces Italiens dont Catherine aimait à s’entourer, laissa le roi de Navarre récriminer tant qu’il voulut, mais, dans sa réplique : « C’est vous, sire, dit-il, qui avez forcé la main à mon maître en vous emparant de Mont-de-Marsan, et vous avez renvoyé M. de Bellièvre sans réponse. Refuser de recevoir la reine, votre femme de quatre jours seulement, sous prétexte de Bazas, qui n’y touche en rien, c’est une nouvelle insulte. » Ce rude langage impressionna le roi ; il promit à Birague de revoir M. de Bellièvre et lui remit une lettre pour Marguerite, dont les termes étaient bien adoucis : « Il importe, disait-il, quand nous nous rassemblerons, que ce soit de plein gré ; vous ferez, à mon avis, fort bien d’en faire instance à la reine votre mère, et lors je ferai paraître à tous que je ne fais rien par force. Sans ces brouillons, ma mie, qui ont troublé les affaires, nous aurions le contentement d’être à cette heure ensemble. »

En réalité, le roi de Navarre ne cherchait qu’à gagner du temps. De Pau, où il s’était rendu pour assister aux noces de son favori Frontenac, il fit partir pour la cour un nouveau négociateur, M. de Clervant, mais sans toutefois modifier ses premières instructions. Plus conciliant, cette fois, Henri III promit de retirer les garnisons d’Agen et de Condom et de limiter celle de Bazas à cinquante chevaux. Clervant rapporta cette bonne parole à son maître, qui l’invita à aller la redire à Marguerite ; mais le malheur l’avait rendue défiante. « Puisque M. de Clervant, écrivit-elle à Matignon, est venu de la