Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où se trahit le trouble de son âme : « Sur l’assurance de la reine ma mère et sur son commandement, je m’étois sauvée chez elle, et au lieu du bon traitement que je m’y promettois, je n’y ai trouvé que honteuse ruine. Patience ! elle m’a mise au monde, elle m’en veut ôter. Si sais-je bien que je suis entre les mains de Dieu ; rien ne m’arrivera contre sa volonté, j’ai fiance en lui, je recevrai tout de sa main. »

Lorsque le temps, le grand consolateur, eut rendu un peu de calme à l’esprit de Marguerite, elle commença par regarder attentivement autour d’elle. Il lui sembla que, de jour en jour, le marquis de Canillac, son geôlier, changeait de façons vis-à-vis d’elle : de sévère, il était devenu respectueux et peu à peu plus prévenant ; il se redressait dans sa petite taille, il soignait sa mise, sa personne, et s’endimanchant en marié de village, il attachait sur elle des regards significatifs d’un amoureux prêt à se déclarer. A quoi tenait cette métamorphose ? « A la seule vue, dit le naïf minime Hilarion de Coste, de l’ivoire blanc du bras nu de la reine. » — « Pauvre homme ! s’écrie à son tour Brantôme, que pouvoit-il faire ? Vouloir tenir captive celle qui, de ses yeux et de son beau visage, peut assujettir en ses liens et chaînes tout le reste du monde ! » — Dans une situation si périlleuse, la coquetterie est de bonne guerre. Marguerite fit habilement comprendre au marquis que la moindre faveur gagne à être accordée librement, et, le flattant de l’espoir d’une plus grande encore, de son geôlier elle fît son prisonnier. Il restait à gagner la marquise, lâche plus difficile. Marguerite passa ses bagues à ses doigts, la para de ses propres robes, s’extasiant sur sa manière distinguée de les porter : « Vous êtes faite pour la cour, disait-elle ; votre place y est marquée. » L’amour avait eu raison du mari, la vanité eut raison de la femme.

Si épris que fût le marquis, il ne perdait pas de vue les intérêts de sa propre fortune. En s’emparant de Marguerite, il avait agi sans ordre. Une fois la reine dans ses mains, il avait à choisir entre deux partis : rester son geôlier et gagner à ce triste métier quelque maigre abbaye, ou bien lui rendre, comme il venait de le faire, la liberté et se vendre au puissant chef de la ligue, à Henri de Guise. Il s’arrêta à cette dernière résolution. Il ne s’agissait plus que de trouver une occasion de conclure le marché ; elle s’offrit d’elle-même. M. de Foronne, un des agens du duc de Guise, était alors à Lyon, où les principaux chefs de la ligue s’étaient donné rendez-vous. Tous y venaient dans l’intention de rallier à leur parti Mandelot, gouverneur du Lyonnais, qui, jusqu’à ce jour, s’était tenu sur l’extrême limite de la réserve et de la fidélité. Prévenu de ce conciliabule, Canillac, dans les derniers jours de janvier 1587, partit d’Usson pour se rendre à