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même plus la peine de lui écrire. Elle avait affecté à l’extinction de ses dettes le revenu de ses terres de Picardie. Le roi en avait disposé autrement, et la compensation promise étant encore à venir, ses créanciers la poursuivaient à outrance. Blessée au vif par de pareils procédés : « Mes affaires, écrivit-elle à Mornay, le 9 février 1597, sont au même état que lorsque vous les entreprîtes ; c’est toujours à recommencer. » À bout de ressources, elle se vit réduite à implorer l’assistance de Gabrielle d’Estrees. « J’ai pris tant de confiance en l’assurance, écrivit-elle, que m’avez donnée de m’aimer, que je ne veux avoir auprès du roi d’autre protection que vous en ce que j’aurai à requérir. De votre belle bouche je sais qu’il ne peut être que bien reçu. » Durant une longue année encore le projet de la dissolution de son mariage n’avança pas d’un pas. Les préoccupations de Henri IV s’étaient reportées sur les négociations engagées alors avec l’Espagne et qui aboutirent à la paix de Vervins. À la fin de mars 1598, il partit pour Angers. Le 13 avril, il entrait à Nantes, et le 19 il y signait l’édit qui en prit le nom ; puis il se rendit à Rennes, où il avait donné rendez-vous à Rosny.

Toutes les chances semblaient alors tourner en faveur de Gabrielle. L’année précédente, des lettres patentes, datées du camp d’Amiens, en avaient fait une duchesse de Beaufort. Tout récemment, à Nantes, le roi avait obtenu pour le jeune duc de Vendôme, son fils légitimé, la main de la fille du duc de Mercœur. Il se proposait de faire monter encore plus haut sa maîtresse et de poser sur sa tête la couronne royale. C’est à Rosny qu’il s’en ouvre le premier. Un matin qu’il était seul avec lui, il le fait entrer dans un grand jardin dont il referme soigneusement la porte, et il aborde ce délicat sujet. La paix de Vervins lui sert d’entrée en matière : « Du côté de l’Espagne, dit-il, le repos de la France est enfin assuré ; mais une chose m’inquiète, c’est d’être sans enfans ; après moi, le royaume pourroit retomber dans les mêmes calamités. » Puis, avec cette pointe d’ironie qu’il maniait si bien, il passe en revue toutes les princesses auxquelles il pouvait prétendre.

Rosny écouta sans sourciller. « Eh bien ! sire, dit-il, faites-vous amener les plus belles filles de France, causez avec elles, étudiez leur cœur, étudiez leur esprit ; pour le reste, remettez-vous-en à des matrones expérimentées en ces choses-là. » Le roi, l’interrompant brusquement : « Ah çà, vous voulez rire ! Qu’est-ce que l’on diroit d’une pareille assemblée de filles ? Mais sachez bien que la femme que je cherche avant tout doit être une femme douce, bien faite et de taille à espérer des enfans. N’en connaîtriez-vous pas une qui réunisse toutes ces qualités ? — Je n’y ai pas réfléchi, répondit Rosny. — Que diriez-vous alors si je vous nomnaois celle en qui je