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noms des principaux conspirateurs, des renseignemens précis sur leurs moyens d’action et l’époque présumée de leur prise d’armes, elle fit savoir au roi par un de ses agens à la cour qu’elle avait à l’entretenir des choses les plus graves et qui intéressaient au plus haut degré la sûreté de l’état. Cette communication coïncidait avec d’autres rapports que le roi venait de recevoir et surtout avec les craintes que lui inspirait la prochaine assemblée générale des églises réformées, qui devait avoir lieu à Châtellerault. Il répondit au serviteur de la reine que sa maîtresse serait la bienvenue. Cette promesse verbale parut suffisante à Marguerite et ses préparatifs de départ étant faits de longue date, de crainte d’un contre-ordre, elle quitta Usson dans les premiers jours de juillet 1605.

Avant de la suivre à la cour, retournons sur nos pas et entrons après elle dans son inaccessible forteresse. Si on en croit les uns, Usson fut « un Thabor pour la dévotion, un Liban pour la solitude, un Parnasse pour les muses, un Caucase pour les afflictions. » Si on écoute les autres, Usson fut « une île de Caprée avec toutes ses secrètes débauches. » Des deux côtés l’exagération est égale. Le mieux, ce nous semble, c’est d’en appeler aux témoignages des rares visiteurs qui ont franchi le seuil de la mystérieuse demeure. L’auteur de l’Astrée, ce roman écrit sur les bords du Lignon et « la folie de l’époque, » Honoré d’Urfé, l’un des premiers, pénétra à Usson. Il était le principal chef de la ligue en Forez ; c’est sans doute à ce titre qu’il dut d’être admis auprès de Marguerite, enrôlée sous la même bannière. Sans en apporter aucune preuve, tous les biographes le mettent au nombre des amans de la reine. L’on prétend qu’il s’est peint sous les traits de Céladon et que dans Galatée il a désigné Marguerite. Dans les écrits de ses deux frères, nous retrouvons le souvenir de l’impression profonde qu’il ressentit en voyant Marguerite. Anne d’Urfé, l’aîné, a dédié à la reine son Hymne de sainte Susanne, et il l’appelle la perle de France ; Antoine, le cadet, qui, frappé d’une arquebusade près de Villeret dans le Rouannais, mourut si prématurément, a adressé à Marguerite ces quelques lignes qu’on dirait dictées par l’auteur de l’Astrée : « Madame, la première fois que le bruit de vos grâces me vint frapper les oreilles, j’entrai en la même curiosité que Socrate, qui, rencontrant un jeune homme de singulière beauté, après l’avoir contemplé longtemps, le pria de parler, afin qu’il le pût voir, comme s’il ne l’avait pas encore vu. »

Le château reçut d’autres visiteurs et, parmi les plus illustres, Scaliger. Né à Agen, il se qualifiait avec orgueil le vassal de Marguerite, et il a écrit d’elle : « libérale et docte, elle a des vertus royales plus que le roi. » Après Scaliger vint Brantôme. Il apportait à