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Marguerite le portrait si flatteur qu’il a tracé d’elle. C’est lui, n’en doutons pas, qui donna à la reine l’idée d’écrire ses Mémoires. Quelques années plus tard, se rappelant les bonnes heures dues à ce travail, Marguerite à son tour le lui dédiera, et cette dédicace sera un chapitre de plus ajouté à l’histoire de sa vie : « C’est un commun vice aux femmes, dit-elle, de se plaire aux louanges bien non méritées. Si j’ay eu quelques parties de celles que m’attribuez, les ennuis les effaçant de l’extérieur, en ont aussi effacé la souvenance de ma mémoire, de sorte que, me remirant en votre discours, je ferois volontiers comme la vieille Mme de Randan, qui, ayant demeuré depuis la mort de son mari sans voir miroir, rencontrant par fortune son visage dans le miroir d’un autre, demanda qui étoit celle-là. »

Tous ces témoignages à décharge n’infirment-ils pas ceux de ces écrivains qui n’ont vu Marguerite qu’avec les yeux de la haine et en ont fait une Messaline se donnant à tout venant ? N’est-ce pas la meilleure réponse à cette injure grossière mise par Aubigné dans la bouche d’Henri III : « Les cadets de Gascogne n’ayant pu soûler la reine de Navarre, elle est allé trouver les muletiers et les chaudronniers d’Auvergne ? » Mais, tout en écartant tous ces Ruy Blas auvergnats, nous sommes néanmoins forcé de faire la part des faiblesses de la femme. À trente-deux ans, on ne renonce pas facilement à des habitudes prises et invétérées de galanterie, à moins que la religion, providentielle auxiliaire, ne vienne retremper et redoubler la force de résistance. Quels furent les heureux privilégiés de ces années d’exil ? Nul ne sait leurs noms, la porte de la forteresse était si bien close ! Il en est un cependant que tous les contemporains s’accordent à lui donner : ce nouvel amoureux se nommait Pomini. Sa belle voix lui avait fait une sorte de réputation à la cathédrale de Clermont. La reine voulut l’avoir pour sa chapelle d’Usson ; du chantre elle fit bientôt un secrétaire, place intime et privilégiée qui rapproche insensiblement de l’alcôve. Si l’on s’en rapporte à cette mauvaise langue d’Aubigné, Marguerite en était si jalouse » qu’elle avait fait rehausser tous les lits des femmes attachées à son service, afin de voir, sans trop se baisser, si le trop recherché chanteur ne s’était pas couché dessous. » Elle le perdit à Usson. Était-il mort à la peine ? C’est la destinée de bien des ténors. Nous ne pouvons le dire. Toujours est-il qu’à l’occasion de sa perte, Aubigné attribue à Marguerite des vers bien médiocres, surtout si on les compare aux brûlantes strophes qu’elle adressa à Chanvalon lors de leur première séparation :

Nos corps sont désuniz, nos âmes enlacées ;
Nos esprits séparez et non pas nos pensées.
Nous sommes éloignés, nous ne le sommes pas.