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V

Remis d’année en année, le sacre de Marie de Médicis fut enfin fixé au 13 juillet 1610. Loin de se sentir humiliée d’y paraître, Marguerite discuta gravement les questions d’étiquette. Elle tenait à porter le diadème royal. Comme reine, c’était son droit. Cette prérogative ne fut pas contestée ; mais comme elle exigeait que son manteau royal fût recouvert tout entier d’un semis de fleurs de lis d’or, celui de Madame Elisabeth ayant été limité à une bordure de deux rangs de fleurs de lis, la même étiquette lui fut appliquée. Précédée par la future reine d’Espagne, habillée d’une robe de toile d’argent et d’un surcot d’hermine, la longue traîne de son manteau de velours violet portée par les comtes de Curson et de La Rochefoucauld, Marguerite prit place à son rang dans le cortège. De la haute tribune où il s’était placé, Henri IV vit passer ses deux femmes.

Le soir du sacre, Marguerite reprit la route d’issy. L’anniversaire de son jour de naissance tombait au lendemain, elle tenait à le célébrer avec une certaine pompe, ainsi qu’elle le faisait chaque année. Dans la soirée de ce fatal jour, l’historien Dupleix lui rappelait combien, à toutes les époques de notre histoire, le quatorzième jour de chaque mois avait été favorable à la France. Parmi les dates les plus récentes il citait la levée du siège de Metz, le 14 janvier 1553, la victoire d’Ivry, le 14 mars 1590. De grands cris interrompirent brusquement l’orateur ; c’était la nouvelle de la mort de Henri IV qu’on apportait à Marguerite. Rendons-lui cette justice, elle en fut profondément affectée et, prenant à cœur de découvrir les complices de Ravaillac, elle se donna tout le mal possible pour faire entendre juridiquement La Comans, qui désignait de bien hauts coupables.

« A part la folie de l’amour, a dit d’elle Tallemant des Réaux, elle étoit fort raisonnable. » Elle s’étoit tenue prudemment à l’écart des querelles si vives engagées entre les deux dernières maîtresses du roi, la marquise de Verneuil et la comtesse de Moret. Elle se tint également en dehors des luttes des premières années de la régence. Marie de Médicis lui en sut gré et le témoigna en l’admettant à toutes les grandes cérémonies. Elle assista donc à la déclaration de la majorité de Louis XIII et au grand carrousel de la place Royale ; elle fut la marraine de Gaston d’Orléans, et c’est à elle que la reine réserva la coûteuse faveur de recevoir le duc de Pastrana, le fils de don Ruy Gomez et de la célèbre princesse d’Eboli, venu pour demander la main d’Elisabeth de France.