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commerçans, travailleurs, seuls, entre tous les indigènes de la rivière, ils ont conservé au contact des Européens des mœurs relativement chastes. Leur principal défaut est de ne savoir ni construire de pirogues ni pagayer. Pour traverser les fleuves et les rivières, ils se servent de radeaux en combo-combo, ou bois canon, arbre qui rappelle notre sureau d’Europe, mais atteint des proportions colossales. Au point de vue physique, les hommes de cette nation offrent un très beau type, surtout les Osiébas, chez lesquels on rencontre fréquemment la taille de 1m,80 et même de 1m,90. Ce sont des marcheurs infatigables et, à l’occasion, d’excellens porteurs. Moralement, ils sont fiers, quintaux, irascibles ; il ne serait pas prudent de leur chercher querelle, car tous possèdent un fusil à pierre, qu’ils portent constamment chargé. Quiconque séjourne quelque temps au milieu d’eux est presque toujours témoin d’une contestation donnant matière à palabre, exercice très en faveur dans le pays.

Les Fans sont cannibales, surtout les Fans-Makays. Il est rare, cependant, que les uns ou les autres tuent leurs prisonniers pour les dévorer. À l’exemple des loups, les Pahouins d’un même village ne se mangent pas entre eux : lorsqu’ils ont envie de faire bonne chère, ils achètent à leurs voisins les corps des individus morts par suite d’accidens ou de maladie. Les cadavres des ennemis tués dans un combat donnent aussi lieu à de plantureux festins. Toutefois, chose curieuse à noter, les femmes et les enfans ne goûtent jamais à la chair humaine et professent même un profond dégoût pour cette nourriture.

Il me souvient qu’un jour, après une marche fatigante à travers la Brousse, j’arrivai à un campement pahouin. — Il faut savoir que les indigènes ont l’habitude de fumer la viande des animaux qu’ils tuent à la chasse. Une fois fumée, ils la hachent et la mélangent avec un produit du pays qu’ils appellent le dica, produit obtenu en pilant les amandes du manguier sauvage, préalablement rôties. De cette singulière pâtée ils forment des boulettes, qu’ils font cuire sous la cendre, après les avoir enfermées dans de petits paquets de feuilles de bananier. Au premier abord, cette cuisine vous semble répugnante ; mais, peu à peu, on s’y habitue, et l’on finit même par manger l’horrible hachis avec un certain plaisir. — Je reviens maintenant à mon aventure.

J’étais donc arrivé au campement, éreinté, mourant de faim, car les quelques vivres dont s’était chargé l’interprète, qui seul m’accompagnait, avaient été dévorés pendant la halte du matin et, par malheur, nous n’avions pas rencontré sur notre route le plus petit gibier. Suivant mon habitude, j’allai m’asseoir au milieu des indigènes.