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de commerce des villes anséatiques, et quand nous songeons surtout que, chaque année, cent ou deux cent mille Allemands quittent leur pays sans esprit de retour, pour aller chercher fortune sur quelque terre étrangère. Les économistes d’outre-Rhin ont témoigné plus d’une fois le regret que l’Allemagne déversât incessamment le trop-plein de sa population sur les États-Unis et sur l’Amérique du Sud, qu’elle permît à ses émigrans d’aller se fondre et s’absorber dans des sociétés qu’ils ne gouvernent point, qu’elle n’eût pas à leur offrir quelque lieu de refuge où ils vivraient en corps de nation : « Nos émigrans, disent-ils, ne seraient pas perdus pour nous; ils ne quitteraient pas l’Allemagne, ils la prolongeraient au-delà des mers. » Mais telle n’est point la pensée du prince de Bismarck. Ce ne sont pas des colonies de peuplement qu’il veut donner à l’empire. Loin de vouloir encourager l’émigration, il la regarde comme un mal qu’il s’applique à combattre. Il ne croit pas que l’Allemagne soit trop petite pour les Allemands, et il se plaint que chaque année l’émigration lui ôte plus d’une palette de son meilleur sang; il regrette non-seulement les bons travailleurs, mais plus encore les robustes soldats qu’elle lui fait perdre. « Un Allemand qui se défait de sa patrie comme d’une vieille loque, disait-il dans la séance du 26 juin, n’est plus pour moi un compatriote. »

Sa politique coloniale n’a pas d’autre objet que de créer des comptoirs lointains, qui ouvrent aux marchandises allemandes de nouveaux et importans débouchés. Après avoir fait de l’Allemagne une nation militaire et forte, son principal souci est d’en faire une nation riche, en développant sa puissance productive, son industrie, son commerce, et s’il est vrai que les expéditions postales soient la vraie mesure de l’importance du trafic entre deux pays, il n’a pas perdu ses peines, car depuis 1877 la correspondance de l’Allemagne a augmenté d’un tiers avec l’Australie, de plus d’un quart avec le Japon, et depuis 1881, elle a doublé avec la Chine. Dans sa pensée, la prospérité des établissemens récemment fondés en Afrique, loin de favoriser l’émigration, aurait pour effet de la restreindre, en accroissant la richesse publique. Il représentait au Reichstag que les contrées les plus peuplées et les plus industrielles de l’Allemagne sont celles qui conservent leurs habitans, tandis que les provinces Baltiques, Posen, le Mecklembourg fournissent son principal contingent à l’armée des mécontens qui s’en vont pour ne plus revenir : « Donnez à ces provinces l’industrie, disait-il, donnez-leur des droits de douane suffisamment protecteurs, donnez-leur surtout l’exportation, et personne ne pensera plus à s’expatrier. »

Mais il n’admet pas qu’en matière de politique coloniale, les gouvernemens substituent leur initiative à celle des particuliers. Il a pour principe que l’état doit se contenter du rôle de garant, de protecteur