Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétendant faire élire les inamovibles par les deux chambres réunies n’était qu’une autre manière de les tuer. Ils disparaissent, et par cela même le sénat n’aura plus la ressource d’appeler dans ses rangs des hommes supérieurs, qui ne sont pas accoutumés aux brigues électorales. Comment les remplacera-t-on ? On ne les remplacera pas ; tous les sénateurs seront désormais élus de la même manière par les départemens. La seule originalité du nouveau régime consiste, non dans l’augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux, mais dans une certaine proportionnalité des délégations municipales, qui s’accroîtront selon le chiffre de la population et l’importance des corps municipaux. Si l’on cherche la raison de cette innovation, qui annule les petites communes au profit des grandes, elle n’est pas difficile à trouver, elle a été avouée naïvement, celle-là aussi : c’est que la combinaison nouvelle doit être plus favorable aux candidats républicains.

C’est le dernier mot ! Une réflexion bien simple ou un souvenir vient cependant à l’esprit. Il y a déjà bien des années, l’empire faisait, lui aussi, ses circonscriptions électorales ; il les accommodait pour le succès de ses candidats et on s’élevait alors contre cette prétention arrogante de faire des élections un instrument de règne. Les républicains d’aujourd’hui ne font rien de plus, rien de moins, ils imitent tant qu’ils peuvent les abus, les pratiques de l’empire en les aggravant, et si c’est avec cet esprit qu’ils se disposent à aborder toutes les questions qu’ils ont devant eux, la réforme du sénat, le budget, les affaires extérieures, cela promet. Cette session qui commence risque fort de n’être que la continuation d’une dure expérience, l’expérience du gouvernement d’un grand pays par la médiocrité tapageuse, incohérente et stérile.

L’heure des affaires est revenue aussi pour l’Angleterre. Le parlement s’est rouvert il y a quelques jours, et le discours qui a été lu au nom de la reine Victoria, qui inaugure cette session inusitée d’automne, n’a certes par lui-même rien de saillant ni de caractéristique. Il est d’un laconisme insignifiant ou prudent. Il a tout au plus quelques mots vagues sur les relations de la Grande-Bretagne avec les autres puissances, sur l’Egypte, sur l’expédition du Soudan, sur la nécessité de voter de nouveaux crédits. Le discours royal ne dit à peu près rien. Ce n’est pas cependant que tout soit pour le mieux dans les affaires de l’empire britannique. Tout, au contraire, est laborieux, difficile au moment où s’ouvre cette session extraordinaire, et ce que la reine ne dit pas dans son discours, elle le laisse à dire au parlement, dont les discussions prochaines vont peut-être avoir une importance particulière, décisive pour l’ascendant britannique. En réalité, l’Angleterre, quelles que soient ses ressources et sa puissance, passe aujourd’hui par une crise assez grave de politique extérieure et intérieure, dont le chef du ministère lui-même, M. Gladstone, semble