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attirés soit par l’élévation du salaire, soit par le désir de s’instruire dans nos ateliers. Un fabricant a déclaré que les deux tiers de ses ouvriers sont étrangers. Un autre a fait connaître que, n’obtenant pas des ouvriers parisiens un travail actif et régulier (ce qu’il attribue au taux du salaire, qui permet à l’ouvrier de ne paraître à l’atelier que trois ou quatre fois par semaine), il a dû transporter son établissement en Picardie. L’enquête a recueilli maintes déclarations de ce genre. Ce n’est évidemment point pour faire tort aux ouvriers français, leurs compatriotes, que ces patrons acceptent la main-d’œuvre étrangère, car, à tous leurs ouvriers, sans distinction de nationalité, ils paient les mêmes salaires, à la journée comme aux pièces. Ils emploient les étrangers, non-seulement parce que ceux-ci sont plus assidus et peuvent, pour certains travaux, devenir aussi habiles, mais encore et surtout parce que les ouvriers français, qui ont déclaré la guerre à l’apprentissage, ne se renouvellent plus en nombre suffisant. C’est ainsi que les manœuvres imprudentes des grévistes ont produit, pour les industries d’art, cette affluence toujours croissante d’ouvriers étrangers, qui viennent prendre les places laissées vides par les nôtres.

A la concurrence des ouvriers étrangers s’ajoute celle des femmes. Parmi les industries d’art, il en est un certain nombre pour lesquelles le travail des femmes est tout indiqué : telles sont la broderie, la fabrication des fleurs artificielles, l’ornementation des éventails, etc. Les divers articles qui exigent du goût et de l’élégance sont naturellement de leur ressort, et les ateliers parisiens leur ouvrent d’abondantes sources de travail. Il ne serait point désirable que le domaine féminin s’étendît outre mesure. Les moralistes disent avec raison que la place de la femme est au foyer plutôt qu’à l’atelier, et les économistes ajoutent que la bonne ménagère gagne plus en réalité que l’ouvrière salariée. Il y aura toujours cependant un grand nombre de femmes obligées de travailler moyennant salaire, et certaines catégories ne pourront être employées que dans des ateliers. Le seul point qui importe à l’organisation rationnelle du travail et qui doive préoccuper les ouvriers, c’est que la main-d’œuvre des femmes n’entreprenne pas sur le champ plus vaste où se sont exercées jusqu’ici les forces et les aptitudes des hommes. Or on observe que plus nous allons, plus le travail des femmes est en hausse. Les ouvrières supplantent les ouvriers partout où cela peut se faire, et, outre qu’elles se contentent d’un salaire moindre, elles sont plus exactes et plus assidues. On sait comment elles ont pris pied dans l’industrie typographique. Les grèves des ouvriers typographes ont mis en lumière un détail nouveau du mérite des femmes. Celles-ci lèvent la lettre avec