Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
REVUE DES DEUX MONDES.

landes, les bruyères et les genêts foulés par le pied des hommes et des animaux et par la roue des voitures. Il faut pourtant faire exception jusqu’à un certain point pour les cultivateurs des côtes. Dès longtemps, ils savaient mettre à profit le sable marin, la tangue, le goëmon, et c’est à ces engrais naturels qu’ils devaient en grande partie la supériorité de leurs terres. On peut considérer comme des faits nouveaux l’emploi fréquent de la chaux, celui du plâtre, du noir animal, du guano et des différens engrais commerciaux. Les dunes mêmes, mises en culture dans diverses parties du littoral, ont fourni à l’amendement des terres l’élément calcaire dont le défaut se fait sentir d’une manière si préjudiciable au sol de la Bretagne.

Il faut mettre au rang des perfectionnements les plus importans les voies de communication, si rares au dernier siècle. Elles n’existaient guère que sous forme de grandes routes en 1840. À peine commençaient à se faire sentir alors les effets de la loi sur les chemins vicinaux, digne pendant de la loi de 1833 sur l’instruction primaire. Cette province, si particulièrement dépourvue de routes, compte aujourd’hui, tant en chemins de fer qu’en voies de terre et d’eau, 35,000 kilomètres de voies de communication réparties entre les cinq départemens. On a plus fait en quarante ans qu’on n’avait fait en quinze siècles.

Ces progrès ne peuvent être complètement appréciés, quelles qu’en soient les lacunes et les ombres, — qu’il y aura lieu de signaler et de mesurer, — qu’en entrant dans des particularités sur les conditions de propriété, de salaire, de régime de vie qui trouveront plus loin leur place. Nous nous bornerons à indiquer dans cet aperçu des témoignages généraux sur les misères de l’ancien état. On doit pourtant se montrer très réservé dans la citation de ce genre de documens, qu’on invoque souvent mal à propos en leur accordant une portée définitive qu’ils sont loin de présenter toujours, ils ne sauraient s’appliquer exactement à toutes les époques qu’on réunit confusément sous le nom d’ancien régime. Prenez tel tableau de la Bretagne au xive siècle, avant les guerres anglaises, par exemple celui qu’en a tracé M. Siméon Luce dans son livre sur Bertrand du Guesclin ; il en ressort certaines idées de richesse et d’aisance pour les campagnes qui ne seront plus de mise de longtemps dans les périodes suivantes. Nous aurions aussi quelques distinctions de ce genre à établir pour le xviie et le xviiie siècles. C’est dans un de ces momens de souffrance aiguë que Mme de Sévigné écrivait de Bretagne : « Je ne vois que des gens qui me doivent de l’argent et qui n’ont pas de pain, qui couchent sur la paille et qui pleurent. » (9 juin 1680.) C’était d’ailleurs la situation de toutes les années de disette, qui ne laissaient pas d’être fréquentes, et de celles qui se ressentaient des maux de la guerre. Les régions