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il est vrai. Des hommes, des femmes, des enfans étaient enfermés dans des cages en bois et engraissés comme des animaux jusqu’au jour où on les conduisait à la boucherie.

Les Mexicains, au moment de la conquête, ne possédaient ni chevaux, ni bœufs, ni moutons, ni chèvres, aucun animal domestique en un mot. Ce serait donc l’absence de toute espèce de viande qui les aurait conduits au cannibalisme. Pour beaucoup d’écrivains, pour ceux surtout issus de leur race, c’est là leur excuse ; mais le fait n’est pas complètement vrai ; le pays était riche et fertile, les bois renfermaient du gros gibier en abondance, et ces hommes engraissaient, comme les Chinois le font encore aujourd’hui, des chiens d’une espèce particulière (techichi) qui servaient à leur nourriture.

Le nombre des victimes immolées était immense et devait être une cause sérieuse de dépopulation. Le retour d’une armée victorieuse, l’avènement d’un nouveau souverain, les funérailles de son prédécesseur, la dédicace d’un temple étaient toujours accompagnés de véritables hécatombes. Si une défaite, une famine, une maladie pestilentielle venaient frapper les Aztecs, le peuple réclamait avec ardeur des sacrifices pour apaiser les dieux irrités.

En 1487, la dédicace par Ahuitzotl, le prédécesseur de Montezuma, du grand temple de Mexico consacré à Huitzilopochtli fut marquée par la mort de soixante-douze mille trois cent quarante-quatre malheureux[1]. Le massacre, rapporte le père Duran, dura quatre jours ; le sang des victimes coulait en telle abondance le long des terrasses du temple qu’il bondissait en cascades et formait de véritables étangs : en se coagulant, il répandait dans la ville la plus horrible puanteur. Les prêtres étaient las de frapper, ajoute un autre chroniqueur, il fallait successivement les remplacer ; mais le peuple ne se lassait point de cette effroyable boucherie ; il répondait par des acclamations joyeuses aux cris de désespoir de ceux qui mouraient. Sous Montezuma, douze mille captifs périrent lors de l’inauguration d’une pierre mystérieuse amenée à grands frais à Mexico et destinée à devenir l’autel des sacrifices. Ces tristes scènes touchaient à leur fin ; en 1518, au moment même où Juan de Grijalva

  1. D’autres chroniqueurs parlent de soixante mille victimes et portent à six millions le nombre des spectateurs accourus de tous les points du Mexique. La première pierre du temple avait été posée en 1483, suivant une inscription conservée au musée du Trocadéro et que M. Hamy est parvenu à déchiffrer. Les peintures du monument du Vatican et du manuscrit Le Tellier conservé à la Bibliothèque nationale représentent les fondations de ce teocalli bâties sur pilotis. Deux épines de maguey les surmontent, symbole des pénitences individuelles qui avaient accompagné le commencement des travaux ; plus haut, on a représenté l’image des nombreux prisonniers immolés à cette occasion.