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mangeaient leurs propres enfans, et un des premiers pionniers du Texas raconte que, parmi les provisions dont ses compagnons et lui s’emparèrent dans un campement de Comanches qu’ils venaient de surprendre, figuraient de grands morceaux de chair humaine préparée pour la cuisson. Dupratz nous apprend que les Natchez offraient des sacrifices humains, non-seulement à la mort du Grand-Soleil, — tel était le titre de leur chef, — mais aussi à la mort des soleils inférieurs, et deux siècles après, Cook, naviguant sur les côtes encore peu connues du Pacifique, voyait les habitans lui apporter à titre d’hommage des têtes, des pieds, des mains à peine dépouillés de leur chair, et dont plusieurs gardaient encore les traces du feu auquel ils avaient été exposés.

Dans nulle partie du globe, la nature ne s’est montrée plus prodigue pour l’homme que dans les régions immenses qui s’étendent de la Guyane à l’Uruguay, de l’Atlantique aux premiers contreforts des Andes. La fertilité du sol, sous la double influence de la chaleur et de l’humidité, est admirable. Partout croissent les essences forestières les plus estimées; partout poussent, avec une luxuriante variété, les rares plantes médicinales, les végétaux utiles à l’alimentation de l’homme, les fleurs au coloris éclatant, les fruits savoureux. Les forêts vierges, dont rien, au dire des voyageurs, n’égale la magnificence, descendent jusqu’aux rives des fleuves les plus importans du monde entier. Ces forêts sont peuplées de singes, de tapirs, de pécaris, d’oiseaux au brillant plumage; l’abondance des poissons dans les différens cours d’eau est peut-être plus remarquable encore. La tortue, le pirarucu, que les indigènes frappent avec adresse de leur lance lorsqu’il paraît à la surface de l’eau, suffiraient seuls à la nourriture d’une population nombreuse. La barbarie des hommes forme un étrange contraste avec la richesse de la nature. On rencontre à chaque pas, en remontant l’Amazone ou ses affluens, au sein de cet empire du Brésil, sous tant de rapports en si grand progrès, des peuplades barbares et cannibales[1]. Il en était ainsi, à plus forte raison, au XVIe siècle, et les Portugais trouvèrent le cannibalisme en honneur chez les Guaranis, les Tupis, les Tupiuambas, comme les Espagnols l’avaient trouvé dans les régions plus au nord. Les prêtres excitaient les guerriers à tuer leurs prisonniers. Le Grand Esprit, qui habite le tammaraka[2], réclamait,

  1. On compte encore aujourd’hui au Brésil dix tribus cannibales, dont la population s’élève à quatre-vingt mille âmes environ. Il en est d’autres peu connues qui vivent dans ces plaines immenses entre-coupées de forêts épaisses et marécageuses. M. Rey raconte que dernièrement une de ces tribus avait paru du côté de Linharès (province d’Espirito-Santo) et qu’après avoir attaqué et incendié une habitation, elle avait mangé les propriétaires.
  2. Le tammaraka, ou tambour magique, était une simple calebasse attachée au bout d’un bâton et renfermant un grand nombre de petites pierres que l’on agitait avec force en l’honneur du Dieu.