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sur l’existence du cannibalisme dans les temps où l’homme accumulait autour de sa demeure ces amas de débris, les plus anciens témoins de sa présence. Il était évident que les ossemens humains ne provenaient pas d’une sépulture; aucun squelette n’était complet ; des ossemens appartenant à plusieurs individus gisaient, confondus dans le plus extrême désordre. Les os longs étaient brisés, comme ceux trouvés auprès du lac Monroë, et dans le même dessein sans doute que ceux des animaux, tels que le cerf ou l’alligator, dont ces hommes faisaient leur nourriture. Les intéressantes fouilles d’Osceola Mound vinrent confirmer ces conjectures. Les restes de l’homme et des mammifères ses contemporains étaient renfermés dans une brèche très dure, assez semblable à celle des cavernes qui ont donné dans notre pays des résultats si importans pour la science préhistorique. Wyman retira de cette brèche deux fémurs appartenant à des individus différens. Sur l’un de ces fémurs il remarqua une incision intentionnelle faite pour le briser plus facilement. Pendant que Jeffries Wyman prouvait l’existence de l’anthropophagie dans les états du Sud, Manly Hardy la montrait dans la Nouvelle-Angleterre. Sous un kjökkenmödding de la côte du Maine, il découvrait un nombre assez considérable d’ossemens humains. Les vertèbres, les côtes, tous les petits os manquaient; aucun fragment ne se rapportait aux autres. Il fut impossible de compléter, même partiellement, un seul squelette. Les fouilles donnèrent des ossemens de castor et de morse, mêlés aux ossemens humains, des os d’oiseaux, des arêtes de poisson, de nombreuses coquilles marines, des tessons de poterie, une flèche en silex et une aiguille en os. Sur divers points, des amas de cendres et de charbons attestaient le foyer du cannibale, le lieu où il préparait ses misérables repas.

Les sambaquis du Brésil sont formés, comme les kjökkenmöddings, des débris de la nourriture d’un peuple qui avait habité durant de longs siècles les côtes de l’Atlantique et qui, bien probablement, avait précédé les races que rencontrèrent les Portugais. On peut lire dans ces sambaquis, comme dans un livre, les coutumes, les usages, la vie journalière de ce peuple inconnu Chaque couche de coquilles ou de cendres est une page où les faits, écrits avec la pierre et le feu, parlent d’eux-mêmes et où les drames de la vie sont retracés par les ossemens fracturés des victimes. Ces sambaquis abondent dans les provinces de Parana et d’Espirito-Santo ; il a été retiré de l’un d’eux de nombreux ossemens humains brisés par la main de l’homme.

Tels sont là les plus anciens témoignages que nous possédons de l’existence de l’anthropophagie en Amérique. Les recherches, poursuivies