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républicaines. Que l’éloquence de M. Blaine, les millions des princes de la bourse et du comité national républicain, les intrigues ténébreuses du pseudo-candidat Benjamin Butler, les attaques scandaleuses contre la vie privée de M. Cleveland, peut-être une trahison de la faction démocratique de Tammany Hall eussent déplacé un millier de voix de plus dans l’état de New-York, et le châtiment providentiel tombait sur les démocrates. Quoi qu’il en fût, ce n’était pas trop que ces 1,000 voix, mais c’était assez. Grâce au mode de scrutin usité pour l’élection du collège électoral présidentiel, elles ont suffi pour jeter en bloc dans la balance, en faveur du candidat démocrate, les trente-six votes de l’état de New-York. Le 3 décembre prochain, M. Cleveland sera donc formellement élu président, avec M. Hendricks, comme vice-président, par 219 voix électorales contre 182 données à MM. Blaine et Logan.


II.

M. Grover Cleveland, l’heureux candidat du à novembre, n’a pas des états de services aussi éclatans que son rival, qui vient de voir si mal récompensée la ténacité de ses aspirations à la présidence des États-Unis. Né d’hier en quelque sorte à la vie politique, n’ayant opéré jusqu’en 1882 que sur un théâtre extrêmement restreint, complètement inconnu alors que M. Garfield honorait M. Blaine de son amitié et l’appelait au poste de secrétaire d’état, le nouveau président entre en quelque sorte par effraction dans l’histoire. On ne saurait même rien sur ses origines, tant il a peu de notoriété nationale, si quatre biographies, publiées coup sur coup pendant la campagne électorale, n’avaient appris au peuple des États-Unis d’où venait l’homme qui allait probablement le gouverner.

M. Cleveland est né le 18 mars 1838. Il aura donc quarante-sept ans quelques jours après son installation à la Maison-Blanche. Sa forte corpulence, son visage plein et large, orné d’une simple moustache le menton dépourvu de la barbiche légendaire, ne rappellent en rien le type yankee. M. Cleveland, qui ressemblerait plutôt à un de nos compatriotes, est cependant bien un fils de la Nouvelle-Angleterre. Il descend d’une famille britannique établie dans le Massachusetts un peu avant la fin du XVIIe siècle. Un de ses ancêtres, le docteur Aaron Cleveland, graduate de Harvard et ministre épiscopalien à Philadelphie, comptait au nombre des amis de Benjamin Franklin, dans la maison duquel il mourut en 1757, laissant une nombreuse famille et peu de bien. Sa veuve ouvrit un petit magasin à Salem (Massachusetts) et sut élever diguement ses enfans. L’un d’eux, Aaron, établi dans le Connecticut, fut élu à la législature et