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donnés par sa femme, réponde résolument : « C’est dit ! » Je ne puis oublier que Shakspeare lui commande la réponse toute contraire : « We will speak further, » et, dans ce différend, je me sens un faible pour Shakspeare. Dois-je tolérer que cet admirable vers, où l’hallucination de la vue est définie par un poète :


Mine eyes are made the fools of the other senses,


devienne simplement : « Je rêve… » Dois-je approuver que ces paroles toutes claires :


That ray keen knife see not the wound it makes,


deviennent, par un mot impropre substitué à un autre, ce fragment d’oracle :


Cache bien la blessure au tranchant du couteau !


Pendant le meurtre, la y Macbeth s’écrie : « He is about it ! Il est à l’œuvre ! » Dois-je consentir qu’elle affaiblisse et traîne la phrase en ajoutant pour la rime : « Il y doit être. » La rime !… À ce propos, faut-il un moment négliger Shakspeare et considérer le Macbeth de M. Lacroix en lui-même, comme un document de littérature française ? Nous trouverons accouplés à la fin des vers science et conscience, dure et endure, ensemble et rassemble. Mais non ! il serait injuste d’oublier que nous avons affaire à une traduction : la gêne spéciale à cette sorte d’ouvrages explique seule de certaines entorses :


Chers amis, vos coursiers, qu’ils soient fermes et prompts…
Macbeth, il a tué le sommeil innocent…
Sa royale nature, elle me terrifie…


D’autre part, ce n’est pas une excuse, et bien au contraire, d’appartenir à une traduction de Shakspeare, pour des vers comme ceux-ci :


Que mon fier ascendant te pousse et te retienne !
Viens donc, viens ! que mon âme électrise la tienne.


Révérence parler, on ne sait ici de quoi s’étonner le plus, du galimatias ou de l’anachronisme. Après cela, qu’on rende justice au travail de M. Lacroix, nous nous garderons de protester ; nous-mêmes avons commencé par en déclarer les mérites. Mais Charles Lamb s’indignait de lire sous un portrait de Garrick : « Shakspeare et Garrick,