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beaucoup plus de frais aujourd’hui, et de la part du théâtre et de la nôtre, nous n’avons pas le même avantage. Nous payons d’un entr’acte le changement d’un décor; cependant l’intérêt se divise, l’attention languit, la sympathie se fige; et qu’arrive-t-il ensuite? Que vingt figurans chargés de feuillages en papier nous font rire. C’est l’armée de Malcolm, c’est la forêt de Birnam en marche; les contemporains de Shakspeare voyaient l’une et l’autre sans qu’il en coûtât si cher à l’imprésario : quatre hommes avec des poignées de verges faisaient l’affaire. Aujourd’hui, vingt figurans pour nous ne sont que vingt figurans, et le papier découpé en feuillages n’est que du papier.

Il est vrai que Macbeth, parmi les ouvrages de Shakspeare, est peut-être, avec Othello, celui dont l’unité morale est le moins dispersée. Son unité matérielle est pourtant rompue en assez de morceaux, et plusieurs de ces morceaux ne se peuvent plus guère admettre. Il faut renoncer à choquer sur le théâtre des armées ennemies, à moins de transporter les acteurs et l’assistance à l’Hippodrome ou à l’Éden : Macbeth et Macduff combattront à froid sur la solitude des planches. Il faut que Macduff vainqueur se contente de poser le pied sur le corps du vaincu : s’il nous présentait sa tête, imitée par le cartonnier ou le cirier le plus habile, nous le renverrions avec plus d’hilarité que de dégoût au musée Grévin. Est-ce la faute du poète, est-ce notre faute si nous ne pouvons croire que cet accessoire est la tête de Macbeth? Est-ce la faute du poète, est-ce la nôtre si les sorcières, au lieu de nous effrayer comme sorcières, nous font sourire comme travestis? Elles faisaient trembler le parterre et même les spectateurs à 1 shilling, alors que le roi Jacques écrivait : « Un nommé Scot n’a pas eu honte de nier, dans un imprimé public, qu’il y eût une chose telle que la sorcellerie, soutenant ainsi la vieille erreur des Saducéens, lesquels niaient qu’il y eût des esprits, » Alors le spectre de Banquo, sans lumière électrique ni trappe, glaçait d’effroi les plus braves. Aujourd’hui, s’il nous occupe, c’est pour attirer notre critique sur l’artifice du metteur en scène et du machiniste. Prenez qu’il n’ait pas l’air, comme à la Porte-Saint-Martin, d’un homme qui s’est coupé en se rasant et qui saigne sur sa serviette; prenez qu’il ne se lève pas d’abord, comme à l’Odéon, la face tournée vers le fond de la scène, pour pirouetter ensuite et saluer le public; prenez même qu’il soit figuré, comme il l’est maintenant à Londres, par un jeu de glaces, de sorte que nous ne voyions pas et que nous n’entendions pas ce fantôme cogner du derrière au décor pour faire s’ouvrir à son recul un pilier de toile peinte. Nous ne serons pourtant pas hérissés de terreur, aujourd’hui que nous sommes retombés dans les vieilles erreurs des Saducéens et que nous ne croyons plus aux esprits. Tout le fantastique réalisé de Macbeth, en amusant nos regards, loin d’exciter notre émoi,