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politique. On parlait d’ailleurs d’une ligue des neutres qui devait permettre à l’Autriche et à l’Italie de nous rendre de réels services[1].

Les premiers symptômes d’une entente séparée entre Londres et Florence s’étaient manifestés au parlement dans la séance du 25 juillet. « Nous sommes en parfait accord avec l’Angleterre, » avait dit M. Visconti, aux applaudissemens de la chambre, en proclamant la neutralité de l’Italie. Mais lorsque M. de Malaret interpella le gouvernement sur la nature de ses relations avec le cabinet de Londres, M. Visconti ne s’expliqua qu’avec des réticences : « Nous avons conservé notre indépendance, disait-il ; nous resterons libres de nous unir avec qui nous voudrons, sauf à en avertir le gouvernement anglais. »

Ces arrangemens pris en dehors de nous, sans nous consulter, inquiétaient notre envoyé : « Ils n’ont encore rien de malveillant, écrivait-il, mais ce sont des indices fâcheux ; on semble appréhender un changement de gouvernement en France ; on redoute l’isolement et l’on recherche, dans un but facile à deviner, à se rapprocher de l’Angleterre. Je crois toujours aux sympathies du gouvernement italien, mais je suis persuadé qu’il n’y a rien à attendre de lui tant que la bataille qui doit s’engager sous Metz ne sera pas livrée. »

Lord Granville s’est chargé depuis d’édifier notre diplomatie et de lui prouver que ses appréhensions n’étaient que trop justifiées. Le blue-book publié en 1871 nous a révélé, en effet, que, dès la seconde quinzaine de juillet, le gouvernement italien ne songeait plus à une alliance séparée avec l’Autriche et encore moins à une alliance avec la France. Il ne cherchait plus qu’à se soustraire à nos sollicitations en subordonnant à l’Angleterre, pour toute la durée de la guerre, son action soit diplomatique, soit militaire. Ce n’était pas dans la pensée de constituer une ligue de neutres, comme on l’a dit, qu’il s’adressait au cabinet de Londres, mais pour former avec l’Angleterre, séparément, une alliance d’intime et absolue neutralité.

« Le gouvernement italien, écrivait lord Granville, le 10 août, à lord Lyons, nous a fait savoir qu’il avait reçu de la France une demande de coopération armée ; il désirait obtenir notre aide pour résister à cette pression. Je répondis qu’il n’était pas en ce moment dans nos idées de prendre des engagemens positifs pour une neutralité combinée, mais que nous étions prêts à convenir avec le

  1. La ligne des neutres, dont il fut beaucoup question, ne parvint pas à se constituer. Il n’entrait pas dans le système de l’école de Manchester d’engager la politique extérieure de l’Angleterre, et il ne pouvait convenir à la Russie, qui déjà songeait à déchirer le traité de Paris, de se lier les mains. La ligue des neutres est un de ces clichés comme il s’en rencontre beaucoup dans l’histoire.