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M. Thiers n’admettait pas que l’opinion et le parlement pussent être un obstacle insurmontable. Il était convaincu que si le roi accourait à l’aide de la France, avec cent mille hommes, en se réservant de faire solliciter plus tard un bill affirmatif, sa résolution serait indubitablement consacrée. Il ne pouvait en être autrement dans un pays sympathique à la France, alors que l’intérêt de l’Italie, dans le présent et dans l’avenir, commandait si évidemment l’intervention.

Passant à des considérations générales, M. Thiers mit en lumière, d’une façon saisissante, les conditions de l’Italie, soit qu’elle acceptât, soit qu’elle refusât l’alliance à laquelle la France la conviait. Il la montra s’honorant par une résolution, inspirée par le dévoûment et la reconnaissance, assurant à jamais son avenir par l’alliance indissoluble qu’elle formerait avec la France, et marquant sa place au premier rang des cabinets de l’Europe, auxquels elle rendrait le service d’abattre ou de diminuer la puissance qui menaçait de tout envahir.

En regard de cette grande situation que pourrait prendre l’Italie. M. Thiers faisait ressortir les conséquences d’un refus. Ce seraient les hontes de l’ingratitude, et d’une ingratitude sans exemple, car pour assurer à l’Italie son indépendance et son unité, la France n’avait pas seulement donné son argent et ses soldats, elle avait créé pour elle-même, malgré de graves avertissemens, un énorme péril, et provoqué l’horrible désastre dans lequel on la voyait se débattre. « Et, en dehors de la question d’honneur, s’écriait M. Thiers, plus haut qu’il ne convenait peut-être au négociateur d’un pays en détresse, quel avenir le refus et la rupture qui doit suivre préparent-ils à l’Italie ? »

Où cherchera-t-elle désormais ses alliances ? Il n’y a pas une-puissance, la France exceptée, qui n’ait intérêt à la voir se démembrer, et plus d’une ira chercher dans ses démembremens mêmes les appoints de la future carte d’Europe.

L’Italie oublie-t-elle ses embarras intérieurs ? croit-elle en avoir fini avec le catholicisme et aussi avec les élémens républicains qui fermentent dans son sein ? Ne voit-elle pas surgir mille périls que l’alliance avec la république française seule pourrait conjurer ?

Ces adjurations si véhémentes, adressées à une grande puissance dont on implorait le secours, ne pouvaient se justifier que par l’exaltation du patriotisme en lutte avec un implacable destin. Elles furent écoutées sans impatience, mais on s’en souvint lorsque M. Thiers fut appelé à relever et à diriger la France. Les résolutions du gouvernement étaient arrêtées. Les ministres évitèrent de récriminer et de relever avec aigreur les considérations morales que l’ambassadeur avait si puissamment développées. Loin de se