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de ses déceptions dans la contemplation des chefs-d’œuvre de l’art, dans les souvenirs du passé. Il étudiait les chemins que de grands capitaines s’étaient frayés à travers les Alpes et que Victor-Emmanuel se refusait à prendre.

M. Senard, qui n’avait pas la philosophie que donne l’histoire, ne songeait plus qu’à être relevé d’un poste qui, hors une heure d’ivresse, ne lui avait valu que des désenchantemens.

« La tâche que je suis venu remplir ici, écrivait-il avec une modestie bien rare chez les diplomates qu’improvisent les révolutions, est, hélas ! bien pénible, car en y dévouant toutes mes forces, toute ma vie, je constate à chaque pas ma complète impuissance. Est-ce de ma faute, ou suis-je en présence d’obstacles réellement insurmontables ? Il n’est pas d’homme politique de ce pays, que je n’aie vu trois ou quatre fois ; il n’en est pas un qui ne se soit ému avec moi, qui ne m’ait promis son concours le plus ardent. Tous se montent, s’exaltent et tendent au même but, et ce but recule toujours. »

Lorsque, au sortir de nos cruelles épreuves, M. Thiers fut nommé chef du pouvoir exécutif et que, dès son avènement, sous l’influence d’une assemblée réactionnaire, il accréditait un ambassadeur au Vatican, le cabinet de Florence se rappela les avertissemens sévères qu’il lui adressait au mois d’octobre. Il comprit qu’il n’avait pas fait assez pour s’assurer la reconnaissance de la France et qu’il en avait trop fait pour ne pas encourir les ressentimens de la Prusse. La politique italienne se sentit isolée, menacée, elle évolua insensiblement vers le vainqueur[1].

« Priez Dieu, disait Guichardin, dans les Ricordi, qu’il vous mette toujours du côté de la victoire. Vous y rencontrerez du profit et de la louange pour des choses même auxquelles vous n’aurez pris aucune part. Pregate Dio sempre di trovare dove si vince. »


G. ROTHAN.

  1. Dans la seconde phase de la guerre, on le verra par ma correspondance, l’Italie s’émut de nos malheurs. Ses aspirations nationales satisfaites, ses souvenirs se réveillèrent, son assistance diplomatique ne nous fit pas défaut ; elle résista à de perfides incitations, elle ne se laissa pas impressionner par les remontrances du vainqueur, qui lui reprochait sa partialité. Le parlement et la presse s’efforcèrent, en toutes circonstances, de racheter l’inaction et les calculs des ministres par des démonstrations non équivoques de sympathie.