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Palerme est une ville grecque, carthaginoise, arabe, normande, espagnole, et ses monumens témoignent de ses vicissitudes historiques. Dans les maisons particulières, c’est le caractère espagnol qui domine ; elles ont à toutes les fenêtres, des balcons cintrés, permettant aux femmes d’assister sans être vues aux spectacles du dehors ; car c’est une particularité de cette ville, vestige de la domination arabe, que les femmes se montrent peu en public. Quant aux hommes, ils encombrent les rues et passent leur vie en plein air ; ils y font leurs affaires et laissent toutes grandes ouvertes les portes et les fenêtres de leurs maisons, où les regards pénètrent sans obstacle. Palerme n’est pas seulement une des plus belles villes d’Europe, c’est une des plus cultivées ; elle possède, outre ses musées, une académie des sciences médicales, un institut agronomique, une société d’acclimatation, un observatoire, de nombreux cercles et sociétés savantes, un jardin botanique de toute beauté, dans lequel on cultive un grand nombre de plantes tropicales. La plupart de ces institutions sont dues à l’initiative privée ; c’est notamment le cas de l’hôpital des fous fondé par le baron Pisani et qui pourrait servir de modèle à la plupart de ceux d’Europe. De nombreux journaux politiques et scientifiques discutent les intérêts spéciaux de l’île, qu’ils ne confondent pas avec ceux de l’Italie.

La population sicilienne ne comprend guère que deux classes, le noble et le paysan. Le premier, d’une manière générale, n’a pas encore pris son parti de la révolution sociale qui s’est opérée. Il vit modestement du maigre revenu de ses terres, quoique ayant conservé un certain prestige sur le peuple, dont il a toujours défendu les droits. Quant au paysan, il est laborieux, mais misérable. Travaillant en plein soleil avec un simple mouchoir noué sur la tête, il a, par un singulier phénomène d’adaptation au milieu, l’arcade sourcilière très développée, et l’œil, ainsi enfoncé dans l’orbite, protégé contre la lumière. Cela donne à sa physionomie un caractère singulièrement énergique et sauvage ; mais ce n’est qu’une apparence, car au fond, quand il n’est pas surexcité par le désir de la vengeance, il est doux et se laisse facilement conduire par le curatolo qui le dirige. Vivant de rien, il ne s’insurge pas contre le sort et se borne à invoquer la protection de la madone. Evviva la Maria ! est le cri que poussent en chœur toutes les chiourmes quand, après leur repas, elles reprennent leur labeur. Ces contadini ne sont pas d’ailleurs, à proprement parler, des paysans, dans l’acception où ce mot est pris en France ; ce sont des ouvriers agricoles qui vivent au jour le jour, sans avoir la possibilité d’améliorer leur sort par l’épargne. Ils sont rarement propriétaires des demeures qu’ils occupent dans les bourgs où l’insécurité du pays les a confinés, et sont obligés à de longues courses pour se rendre à leur