Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit en prélevant un impôt sur les transactions, soit en employant la ruse ou même la menace pour extorquer de l’argent à leurs victimes. L’histoire de la maffia est encore un mystère et l’on prétend qu’elle existait déjà sous les rois normands ; mais ce n’est guère que depuis l’annexion à l’Italie que ce mot a été employé dans le sens où il l’est aujourd’hui. Jusqu’alors on appelait maffioso un homme d’un esprit subtil, hardi, audacieux, vêtu avec élégance, mais toujours prêt à jouer du couteau. Quoi qu’il en soit, qu’on les nomme comme on voudra, malandrins ou maffiosi, ceux qui font partie de cette association sont des hommes comme il faut, dont le casier judiciaire est le plus souvent parfaitement net, qui ne se mêlent jamais aux voleurs ordinaires pour escalader les murs de jardins et qui se gardent bien de se montrer dans les rixes ou les agressions armées. Ils ont leur politique à eux, leur diplomatie, leur police beaucoup mieux renseignée que celle du gouvernement. Ils observent tout, notent tout, les importations et les exportations, le cours du change, les noms des ministres, les changemens des préfets, les modifications de la législation et s’arrangent pour tirer parti de ces renseignemens. Ce sont des malfaiteurs en progrès qui se sont substitués aux voleurs de grands chemins dont la vapeur a ruiné le métier. La guerre qu’ils font à la société est d’autant plus dangereuse que les moyens qu’ils emploient sont plus parfaits, leur masque plus impénétrable, leur transformation plus complète. A tout prendre, ne voyons-nous pas aussi des associations de malfaiteurs chez les peuples les plus civilisés et peut-on faire un crime à la Sicile d’être sous ce rapport aussi bien partagée que Paris, Londres ou Berlin ?

Ce ne fut pas pour l’administration piémontaise une petite affaire que de rétablir l’ordre dans une société démoralisée par les abus du pouvoir absolu, après une révolution qui avait froissé bien des intérêts, surexcité les passions, dépossédé les moines, déchaîné tous les forçats et infesté la campagne de bandits. Aussi ne faut-il pas s’étonner que, faute de connaître le pays, elle ait, dans les premiers temps, commis bien des erreurs. Croyant que c’est par la vigueur qu’elle triompherait des difficultés, elle s’est préoccupée de frapper fort plus que de frapper juste. La Sicile fut remplie de soldats dont les patrouilles parcouraient la campagne dans tous les sens, arrêtant un peu au hasard bandits et honnêtes gens, répandant partout la terreur et décourageant ainsi la bonne volonté de ceux mêmes qui avaient appelé de leurs vœux le nouvel ordre de choses, mais auxquels ces mesures arbitraires faisaient craindre le retour à l’ancien régime.

Ce fut au service militaire que les Siciliens eurent surtout le plus de peine à se plier, et chaque année de nombreux réfractaires,