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sont pas moins grands que l’auteur du Misanthrope. Mais ce qui est plus que tout le reste, c’est d’en arriver, comme les moliéristes, sous prétexte de moliérisme, à ne plus sentir ou même ne plus comprendre Molière ; et, il n’y a pas à dire, les moliéristes, à force de moliérisme, en sont aujourd’hui positivement là. Je n’en voudrais d’autre preuve au besoin que ce récent volume sur le titre duquel un éditeur a eu l’heureuse idée d’unir les noms de trois moliéristes également renommés pour leur ferveur, leur érudition, et leur ingéniosité : MM. Paul Lacroix, Édouard Fournier et Auguste Vitu.

Le principal titre de M. Vitu parmi les moliéristes, autant du moins qu’il me souvienne, est d’avoir établi que Molière ne mourut point, comme quelques-uns l’avaient cru légèrement, au numéro 34, ou, comme quelques autres l’avaient supposé sans raison, au numéro 42, mais bien au numéro 40 de la rue Richelieu. Dans un gros volume d’environ cinq cents pages, vingt-cinq ou trente sont employées à la démonstration de ce point d’histoire ; le reste n’a pas le moindre rapport à l’auteur de Tartuffe ; et le tout s’intitule hardiment : la Maison mortuaire de Molière, d’après des documens inédits. Cette découverte importante pouvait suffire à classer un homme, mais M. Vitu, mis en goût, ne s’en est point tenu là. Il a imaginé d’écrire : Moliere, sans accent, et d’orthographier : le Missntrope, sans h. Enfin, il vient d’orner le volume d’Édouard Fournier d’une préface qui ne saurait manquer d’ajouter beaucoup à sa réputation dans l’église. On y trouve de fort jolies choses sur la gloire de Molière, qui semble « s’accroître en raison inverse des distances ; » sur les « combats purement littéraires, » et « l’équilibre instable » qu’ils maintiennent « entre l’étroite rigueur du fait et des entraînemens de l’imagination ; » « sur l’apparition des documens nouveaux, » et « l’effet de dissolution instantanée qu’ils produisent sur l’atmosphère aux couleurs chatoyantes des rêves aventureux. » Après cela, si M. Vitu, qui trouve que Racine écrit mal, sentait lui-même ce que quelques métaphores de Molière ont d’effectivement « aventureux, » oserai-je dire que j’en serais étonné ?

Je serais encore plus étonné si jamais il résolvait l’un des trois ou quatre petits problèmes qu’il croit avoir tranchés dans sa préface et qui restent, après comme avant lui, des problèmes. Il revient d’abord sur celui de savoir si la femme de Molière était ou n’était pas la propre fille de son mari, peut-être ; à moins qu’elle ne fût la fille et, dans l’hypothèse la plus favorable, une sœur de son ancienne maîtresse, Madeleine Béjart. Mais, sans entrer ici dans le détail des argumens que M. Vitu fait valoir, et qui sont faibles, M. Loiseleur a clairement démontré que les actes dont on s’autorise pour faire de la femme de Molière une sœur de Madeleine, compliquaient justement la question que M. Vitu semble croire qu’ils ont décidée. D’ailleurs, comme on l’a