Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/786

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Capocotta à Lavinium, c’est-à-dire à Pratica, on descend pendant plusieurs milles[1]. Ainsi, Capocotta ne satisfait pas plus que Tor-Paterno ceux qui essaient de retrouver la vieille ville de Latinus.

Mais alors où donc pouvait-elle être ? — Il ne s’agit pas ici, on le comprend, d’en désigner exactement la place et d’en montrer les ruines. Il est très vraisemblable que, selon l’expression du poète, « ces ruines même ont péri ; » et, dans tous les cas, si elles se cachent encore sous quelque amas de décombres, un voyageur qui passe ne peut pas se flatter de les découvrir. Mais il lui est possible au moins de s’en rapprocher. Essayons de le faire ; remettons-nous encore en route, au risque de fatiguer le lecteur, pour tenter d’établir d’une manière approximative la situation de la ville.

Tout à l’heure, on s’en souvient, nous sommes partis d’Ostie et nous avons longé la côte. Prenons cette fois un chemin nouveau. Le récit de Virgile, que nous venons d’analyser, nous prouve que nous ne ferons pas mal de remonter un peu vers les hauteurs. Quand on va de Rome à Tor-Paterno, on traverse successivement trois régions qui n’ont pas le même caractère : c’est d’abord cette vaste plaine ondulée qu’on appelle la campagna et qui entoure Rome de tous les côtés ; puis une suite de collines couvertes de bois ; enfin, la plaine qui recommence et s’étend sans interruption jusqu’à la mer. La zone intermédiaire est celle qui frappe le plus le voyageur ; elle commence à Decimo, sorte de ferme fortifiée qui rappelle le temps où, dans toute cette contrée, on ne pouvait dormir que derrière de fortes murailles. Là, le terrain s’élève et l’aspect du pays change ; on entre dans ce qui reste de la forêt de Lau-rente. Je l’ai traversée au mois de mai, quand tous les buissons étaient en fleur, et, ce qui achevait de rendre pour moi ce voyage charmant, c’est qu’à presque tous les pas les incidens de la route réveillaient dans ma mémoire quelques souvenirs de l’Énéide. En passant sous l’ombre des grands arbres, je me rappelais que, dans ces lieux, les Troyens et les Latins étaient venus, après la bataille, couper le bois pour les bûchers funèbres : « A la faveur de la trêve, dit le poète, ils partent pour la forêt et parcourent ensemble la montagne. Sous les coups de la hache le frêne retentit ; on abat les pins, dont la tête touchait la nue ; les coins ne cessent de fendre le chêne et le genévrier odorant, et les chars gémissent sous le poids des ormeaux. » Ce sont encore, comme au temps de Virgile, des frênes, des ormeaux, des chênes et des pins qui bordent la route. Les

  1. La carte que Gell a placée dans sa Topography of Rome donne à Capocotta une situation tout à fait inexacte.