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de voir la description, a plus de majesté, qu’il est plus somptueux que les demeures des rois de l’Iliade ou de l’Odyssée. Homère, parlant de la maison d’Ulysse, nous dit qu’elle est la plus belle d’Ithaque et qu’elle attire d’abord tous les regards, parce qu’elle possède une cour entourée de murs, avec des portes à deux battans, qui ferment bien. Voilà par quelle magnificence elle se distingue des autres ! Dans les maisons royales, il n’est pas question, comme chez Latinus, de statues qui remplissent le vestibule, de colonnes qui soutiennent le toit. C’est à peine si la façade est ornée de grandes pierres polies et brillantes sur lesquelles le roi vient s’asseoir pour rendre la justice à son peuple. Les mœurs, comme on voit, sont très simples, et nous sommes au début d’une civilisation. Ce qui le prouve encore mieux, ce sont certains détails que M. Helbig a tirés des poèmes homériques et qui peignent le temps. Dans ces grands appartemens, où les prétendans de Pénélope et la fleur de la noblesse achéenne festinent toute la journée, les restes du repas traînent sur le parquet : on y voit des os de mouton ou de bœuf que les convives se jettent quelquefois à la tête. La salle où l’on mange est celle même où l’on apprête le festin : c’est à peine si l’on a ménagé dans le toit une petite ouverture pour laisser passer la fumée. Du reste, il ne semble pas que l’odeur de la viande grillée parût alors désagréable ; au contraire, une bonne maison pour les gens de cette époque était celle où l’on sentait la graisse ϰνισσῆεν δῶμα (knissêen dôma), et c’est à l’intensité même de ce parfum qu’on mesurait son opulence. Ajoutons que devant le palais d’Ulysse s’étale un tas de fumier qui sert de couche au pauvre chien Argus, et qu’il y en a aussi dans la cour de la maison de Priam : « En voilà bien assez, dit M. Helbig, pour conclure que l’atmosphère qu’on respirait alors dans les demeures royales aurait singulièrement agacé les nerfs de nos délicats. »

Aujourd’hui que nous aimons les couleurs crues et les détails expressifs, ces traits sont peut-être ceux qu’un auteur choisirait de préférence pour donner une idée de la vie antique. Si Virgile les a négligés, il ne faut pas en accuser uniquement la timidité de son goût. Il a quelquefois hasardé des peintures hardies et qui ont paru grossières à quelques critiques timorés. On s’est plaint, dans la description des batailles, de le voir insister avec trop de complaisance sur les cervelles qui jaillissent, sur le sang et le pus qui coulent des blessures, et quand il nous dépeint les hoquets d’un vieux pilote qui vient de tomber à la mer et vomit l’eau salée. Heyne se fâche contre lui et reproche à ses exécuteurs testamentaires, Varius et Tucca, de n’avoir pas eu le courage de supprimer ces vers déplaisans. Il ne faut pas croire non plus que, si Virgile donne