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la foi des fidèles des propositions détachées et souvent tronquées, par là même, obscures ou ambiguës, jusqu’au point de sembler parfois de véritables énigmes[1].

Non content de cette apologie ainsi appuyée sur les pièces et pour ainsi dire documentaire, l’avocat du Syllabus pesait et analysait « ces vastes et vagues mots » de société moderne, de civilisation, de progrès, de libéralisme, qui, sur les lèvres des hommes, sont loin de toujours avoir le même sens, affirmant que ni dans les sciences, ni dans les arts, ni dans les lois, le catholicisme n’a jamais repoussé le vrai progrès, la vraie liberté, la vraie civilisation ; réclamant hardiment tous ces grands mots et ces grandes choses pour le christianisme contre des adversaires qui les dénaturent en s’en emparant.

Un fait certain, c’est qu’en dehors même des catholiques, nos contemporains sont bien loin d’entendre de la même manière et la liberté et la civilisation et le progrès. Si, au lieu de se contenter de mots aussi vagues qu’amples et sonores, ils voulaient, sous chacun de ces termes qui flattent notre imagination par leur vague même, placer une idée précise, combien imiteraient les théologiens dans le nombre et la subtilité de leurs distinctions ! Pour la liberté, l’évêque d’Orléans en faisait une dont les ultra-catholiques n’étaient pas seuls à avoir besoin ; c’était celle de la liberté civile, de la liberté politique, et de la liberté morale. Plus d’un esprit indifférent aux anathèmes de Rome reproche aux libéraux, tout comme certains catholiques, d’admettre indistinctement, sous prétexte de libéralisme, la liberté du mal avec la liberté du bien, la liberté de l’erreur comme celle de la vérité ; ce qui, dit-on, assimile en principe l’erreur à la vérité et le mal au bien. C’est là une confusion. Devant la morale, de même que devant la religion, la liberté civile et la liberté de conscience ne supposent nullement l’égalité du bien et du mal, l’égalité du vrai et du faux, ou leur liberté au même titre. La liberté politique n’implique pas plus, au point de vue moral, le droit au mal, que la liberté de conscience n’implique le droit à l’erreur. Comme le disait l’évêque d’Orléans dans son commentaire du Syllabus, la conscience, pour être libre, n’en est pas moins obligée en face du devoir et en face de la vérité. La liberté politique ne saurait la soustraire à aucun devoir. Libre devant l’état et la loi humaine, l’homme reste obligé devant Dieu et devant sa conscience. Sur ce point, tous les

  1. Un prélat distingué, Mgr de Mérode, ai je ne me trompe, disait à ce propos dans son libre et spirituel langage : « On ne met pas ainsi la vérité en charades. »