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est, en effet, bien glorieuse. Elle a été illustrée par les marins américains et par les marins russes. Mais le plus beau fait d’armes qu’elle ait eu à enregistrer est sans contredit celui des deux petits torpilleurs 45 et 46 à Fou-Tchéou. Ceux-ci combattaient au grand jour, sous le double feu des Chinois et des bateaux français qui tiraient à toute mitraille contre l’escadre chinoise. On sait qu’en dépit de ces difficultés et de ces dangers, ils ont fait sauter un transport et grièvement endommagé un aviso. On n’a pas rendu, suivant nous, assez de justice à cet acte d’intrépidité, qui certes, laisse bien loin derrière lui les exploits de Canaris agissant dans la nuit, et ceux des torpilleurs américains et russes attaquant, toujours dans la nuit, des navires au repos, tandis que les torpilleurs 45 et 46 étaient en pleine lumière et entre deux feux. Mais quelqu’admirable que soit l’héroïsme de nos braves marins, il est clair qu’une arme qu’il faut placer contre le navire lui-même pour le détruire ne saurait être une arme d’un usage ordinaire et d’un effet, sinon décisif, du moins toujours sûr. La torpille portée, comme la torpille divergente, était pour le cuirassé une menace redoutable, non un danger certain. Contre elle la défense était encore possible ; l’assaillant devait braver de tels périls qu’il était inévitable qu’il y succombât souvent. Mais, ces périls diminuant à mesure qu’augmentait la vitesse et que les dimensions du torpilleur devenaient plus restreintes, on songea à construire un bateau minuscule à très grande vitesse, problème que bien des ingénieurs officiels considéraient comme insoluble. M. Thornycroft eut pourtant l’honneur de le résoudre. La célèbre Miranda devint le prototype des premiers torpilleurs qui ont reçu si justement le nom de thornycrofts. Le torpilleur était donc trouvé, mais son arme restait incomplète. La torpille portée ne pouvant être utilisée que comme arme à main ; l’arme à jet, la torpille projectile, était à créer.

Diverses recherches furent faites pour cela. Néanmoins M. Whitehead est le seul qui ait abouti jusqu’à ce jour à un résultat pratique. Sa torpille est un véritable petit bateau sous-marin, en forme de cigare, d’une longueur et d’un diamètre variables. Elle navigue à une immersion constante et porte à l’avant une charge de fulmicoton qu’un percuteur fait éclater au choc. La machine met en mouvement deux hélices ; elle est mue elle-même par de l’air comprimé emprisonné dans un réservoir à parois très résistantes situé vers la partie centrale de la torpille. Deux organes spéciaux, un piston hydrostatique et un pendule, servent à maintenir la torpille à l’immersion désirée, ordinairement 3 mètres. Quand la torpille s’écarte de son immersion, le piston hydrostatique l’y ramène en agissant sur un gouvernail placé à l’arrière. Le pendule n’a pas d’autre rôle que de servir de régulateur à ce piston.