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Bonne-Espérance, un jour où il le tenait bien à portée de son revolver, avait exécuté le décret des Invincibles. En procédant de la sorte, il faisait lui-même le sacrifice de sa vie, car il ne pouvait pas manquer d’être arrêté. On le ramena en Angleterre pour lui faire son procès, le condamner et le pendre. Ce fut le dernier acte de la tragédie de Phœnix-Park.

On ne se contentait malheureusement pas de faire des procès comme celui des assassins de Cavendish et de Burke. C’est la tentation de tous les gouvernemens de poursuivre non pas seulement les crimes et les délits véritables, mais ce qu’on appelle les crimes et les délits d’opinion. Il est bien rare que les poursuites de ce genre réussissent. Même quand elles sont suivies de condamnations, elles font plus de mal que de bien. Le gouvernement aurait dû le savoir. Il n’avait qu’à se souvenir des poursuites infructueuses intentées tant de fois contre O’Connell, et plus récemment contre Parnell. Il espéra être plus heureux contre M. Gray, membre du parlement et propriétaire du Freeman’s Journal ; contre Michel Davitt ; contre MM. Healy et Biggar, membres du parlement ; contre M. Quinn, secrétaire de la ligue agraire ; contre M. O’Brien, directeur du journal l’Irlande unie. Les uns furent poursuivis pour des articles de journaux, les autres pour des discours plus ou moins violens. Tous ces procès échouèrent misérablement. La poursuite contre O’Brien n’eut qu’un résultat : elle fit entrer d’emblée ce jeune journaliste dans le parlement. Il y avait, dans le sud de l’Irlande, un petit bourg appelé Malow, qui avait été représenté autrefois par un home ruler irlandais très modéré, mais qui, à la dernière élection générale, avait passé décidément du côté des gladstoniens. Le député de Malow était un M. Johnson, légiste distingué. Il fut nommé avocat général d’Irlande et se trouva par conséquent soumis à la réélection. Il fut renommé avec bien plus de voix que la première fois. Quelque temps après, il quittait la vie parlementaire. Le siège de Malow était considéré comme si complètement acquis au parti gouvernemental qu’on n’hésita pas à présenter à la place de M. Johnson son successeur, le nouvel avocat général d’Irlande, M. Naish. Les parnellistes présentaient O’Brien, mais sans espoir de succès. Comment croire qu’un parnelliste réussirait là où un home ruler avait échoué ? Le procès arriva fort à propos pour le jeune candidat. La veille, il était battu d’avance ; le lendemain, il était élu triomphalement.

Peu de mois après, d’autres élections non moins significatives venaient attester le progrès du parnellisme. Un siège se trouvait vacant dans le comté de Monaghan. Là encore, la lutte paraissait impossible contre le candidat gladstonien. Le comté de Monaghan